© Kirsten Nijhof

A propos

Un dossier préparé par Benoit van Langenhove.

Présentation

Titre original : Die Feen, grosse romantische Oper in drei Akten
Titre francophone : Les Fées, grand opéra romantique en trois actes

Livret et musique de Richard Wagner

Référence catalographique Wagner-Werk-Verzeichnis : WWV 32

Rédaction du livret : janvier – février 1833.
Composition de la musique : février 1833 – printemps 1834.

Source littéraire principale du livret :
La donna serpente [La femme serpent] de Carlo Gozzi

Création : Munich : Königliches Hof- und Nationaltheater le 29 juin 1888 sous la direction de Franz Fischer.

Distribution

Der Feenkönig / Le roi des fées (basse)
Ada, eine Fee / Ada, une fée (soprano)
Farzana, eine Fee / Farzana, une fée (soprano)
Zemina, eine Fee / Zemina, une fée (soprano)
Arindal, König von Tramond / Arindal, roi de Tramond (ténor)
Lora, seine Schwester / Lora, sa sœur (soprano)
Morald, ihr Geliebter und Arindals Freund / Morald, fiancé de Lora et ami d’Arindal (baryton)
Gernot, Arindals Jäger / Gernot, serviteur d’Arindal (basse)
Drolla, Loras Zofe / Drolla, suivante de Lora (soprano)
Gunther, am Hof von Tramond / Gunther, un courtisan de Tramond
Harald, Arindals Feldherr / Harald, chef de l’armée d’Arindal
Die beiden Kinder Arindals und Adas, ein Knabe und ein Mädchen / Les deux enfants d’Arindal et Ada, un enfant et une fille (rôles muets)
Ein Bote / Un messager (ténor)
Die Stimme des Zauberers Gromas / La voix du magicien Groma (basse)
Feen, Gefährten Moralds, Volk, Krieger, unterirdische Geister, eherne Männer, unsichtbare Geister Gromas / Fées, compagnons de Morald, peuple, soldats, esprits souterrains, hommes effrontés, esprits invisibles de Groma.

 

Orchestration

Vents
1 piccolo,
2 flûtes,
2 hautbois,
2 clarinettes,
2 bassons.

Cuivres
4 cors,
2 trompettes,
3 trombones,

Percussions
Timbales,

Cordes
Harpe,
violons,
altos,
violoncelles,
contrebasses.

Musique de scène
2 flûtes, 2 clarinettes, 2 trompettes, 4 trombones

Durée : environ 3h30.

Texte du livret sur OperaGlass : Die Feen
Partition sur IMSLP :  Die Feen, WWV 32 

 

Synopsis

Acte I

Scène 1
Dans un jardin de fées.
Alors que des fées se divertissent dans un jardin, Zemina et Farzana discutent d’Ada qui a renoncé à son immortalité pour passer sa vie avec un mortel Arindal, roi de Tramond, dont elle est tombée amoureuse. Mais le roi des fées a imposé une condition à cette union : Arindal s’engage à s’abstenir pendant huit ans de l’interroger sur sa véritable identité.  Les fées intriguent pour séparer Arindal et Ada, afin que cette dernière reste au royaume enchanté.
Scène 2
Dans un désert rocheux.
Le royaume de Tramond est attaqué par le roi Murold. En raison de cette invasion et la mort du père d’Arindal, Morald, fiancée de Lora, la sœur d’Arindal, et Gunther, un courtisan, partent à la recherche d’Arindal pour le ramener à Tramond. Ils rencontrent Gernot, qui leur raconte ce qui s’est passé ces huit dernières années : la découverte d’Ada, le coup de foudre et la condition du mariage. La veille de l’échéance, Arindal pose la question fatale : instantanément, l’environnement se transforme en désert. Arindal apparaît et chante son chagrin à la perte d’Ada. Gernot essaie de le convaincre de croire qu’Ada est une sorcière qui l’a abandonné et qu’il devrait retourner dans son royaume. Gunther revient, déguisé en prêtre, et poursuit la tentative de persuader Arindal de retourner immédiatement dans son pays. De même, Morald, déguisé en fantôme du père d’Arindal, annonce que le grand péril courut par le royaume. Arindal accepte de partir le matin suivant. Laissé seul, il tombe dans un sommeil enchanté

Scène 3
Un jardin de fées avec un palais en arrière-plan
Quand Arindal se réveille, Ada se dresse devant lui. Grande est sa joie, mais elle lui explique qu’ils ne peuvent être ensemble que pour peu de temps. Quand Gernot et les compagnons reviennent, ils ne comprennent pas où ils sont. Apercevant la belle Ada, Gernot leur apprend qu’elle est la femme d’Arindal. Ada fait jurer que, quoi qu’Arindal voie le lendemain, il ne la maudira pas. Arindal accepte. Après le serment, elle le libère ainsi que ses compagnons du royaume des fées

Acte II
Une salle du palais dans la capitale du royaume de Tramond.
Acculés à une situation désespérée, Lora et les citoyens de Tramond se rassemblent courageusement devant le palais. Un messager apparaît et annonce le retour d’Arindal, son frère, de Morald, son fiancé et de leurs compagnons. Gernot retrouve également sa bien-aimée Drolla, la servante de Lora, retrouvailles qui donnent lieu à une scène légère. Dans une ultime tentative, Morald part à la bataille avec ses guerriers. Ada, fidèle à son amour, choisit de rejoindre le monde des humains. Mais, selon l’injonction du roi des fées, elle doit mettre Arindal à l’épreuve. Aussi apparaît-elle à la cour de Tramond avec ses enfants, qu’elle précipite peu après dans les flammes. Au même moment, les guerriers, mis en fuite, reviennent, annoncent que tout est perdu, et que Morald a disparu. Harald, le chef de l’armée, rapporte que ses hommes ont été vaincus par une armée conduite par Ada. L’assistance est horrifiée, et Arindal finit par maudire sa femme. Sitôt la malédiction prononcée, les sortilèges s’évanouissent : les enfants sont bien vivants., et Ada a en fait combattu Harald, qui avait trahi Arindal. Mais comme le prince n’a pas respecté son serment, Ada est condamnée à être changée en pierre. Arindal sent son esprit vaciller.

 

Acte III

Scène 1
Une salle de fêtes avec un trône.
Arindal est devenu fou, il ne peut plus mener son pays. Morald et Lora occupent le pouvoir.

Scène 2
Un sombre gouffre du royaume souterrain.
Malgré sa folie, Arindal cherche sa bien-aimée. Le magicien Groma fournit au prince un bouclier, une épée et une lyre afin qu’il aille délivrer Ada. Les fées Farfana et Zemina l’attirent dans des pièges pour qu’Arindal échoue dans sa quête.

Scène 3
Une autre partie du royaume souterrain.
Les fées conduisent Arindal aux enfers, où il doit combattre les esprits de la terre. Avec l’aide du bouclier et de l’épée de Groma, il remporte ce combat sans espoir. Il doit maintenant délivrer Ada pétrifiée. Arindal prend sa lyre et, par son chant, ramène Ada à la vie.

Scène 4
Le magnifique palais des fées au milieu des nuages.
En récompense de ses actes héroïques, Arindal reçoit l’immortalité. Il règnera désormais avec Ada sur le royaume des fées, tandis que Lora et Morald règneront sur le royaume terrestre de Tramond.

 

L’œuvre

Après les tentatives avortées d’un Schäferoper WWV 6 (Opéra pastoral, fragment disparu, 1830) et de Die Hochzeit WWV 31 (Les Noces, opéra inachevé, 1832-1833), Die Feen WWV 32 (1833-1834) constitue la première œuvre lyrique achevée de Richard Wagner.  À l’exception de quelques fragments donnés à Wurtzbourg en décembre 1833, Wagner n’a pas eu l’occasion de l’entendre de son vivant. En 1834, en vue d’une représentation possible à Leipzig qui, en fin de compte, ne se fit pas, le compositeur apporte quelques modifications à la partition. Quand, enfin devenu célèbre, il a l’occasion de proposer Die Feen à une maison d’opéra, il se garde bien de le faire. L’évolution créative avait été si profonde que Die Feen devait lui apparaître comme un simple travail d’apprentissage, fortement influencé par les modèles de l’époque de sa composition, Weber, Marschner et Beethoven, mais aussi par l’opéra italien dont il s’est éloigné avec le temps.

Le choix par Wagner d’une fiaba teatrale du Vénitien Carlo Gozzi La donna serpente ( qui sera aussi mise en musique par Alfredo Casella en 1928-1931) pourrait paraître à première vue étrange. Mais il ne faut pas oublier qu’aux yeux des écrivains romantiques allemands, Gozzi se plaçait au même niveau que Shakespeare et Calderón. Wagner compose Die Feen, comme du reste tous les opéras qui suivirent, sur son propre livret. Il en adoucit la folie en effaçant tous les éléments de la commedia dell’arte et ne garde que ce qui relève du conte pour se rapprocher du modèle du grand opéra allemand. Il apporte aussi d’autres modifications significatives au conte. Ainsi, contrairement à ce qui arrive dans la comédie de Gozzi, où le héros et l’héroïne restent dans le monde des mortels, dans l’opéra de Wagner la fée Ada est transformée en pierre, frappée par la malédiction de son époux Arindal. Et ce n’est qu’à la fin de l’opéra qu’Arindal parvient à la libérer en chantant une romance passionnée. Tous deux seront alors accueillis dans le monde des fées. Cette fin met donc en scène l’un des ingrédients les plus caractéristiques du théâtre wagnérien, la rédemption (Erlösung). Et c’est loin d’être le seul élément qui donne l’impression de se retrouver face à des scènes matricielles de l’œuvre à venir : l’interdiction imposée par Ada à Arindal de la questionner pendant huit années sur ses origines rappelle une situation analogue dans Lohengrin (mais là, c’est Lohengrin qui impose à Elsa de ne pas lui demander d’où il vient), le poète égaré dans un monde irréel se retrouve dans Tannhäuser, Ada qui renonce à son statut d’immortelle par amour pour un humain peut être mise en parallèle avec Brünnhilde et Siegfried.

Le sujet est peu évoqué dans les histoires de la musique, mais les compositeurs allemands du dix-neuvième siècle étaient confrontés au manque de bons librettistes capable de leur fournir des textes appropriés et fonctionnels sur le plan théâtral. En plus, Wagner compose son opéra sans avoir reçu de commande précise. Comme tous les débutants, il le crée pour lui-même, pensant le proposer ensuite à un théâtre pour qu’il soit mis en scène. Ainsi Wagner, en écrivant lui-même tous les textes de ses opéras, a la chance de résoudre personnellement le problème du livret. Nourri d’une riche culture littéraire, il n’a aucune difficulté à surmonter une contingence devant laquelle s’étaient évanouis les espoirs de bon nombre de ses collègues. Dès ce premier essai, le livret de Die Feen montre déjà de solides qualités dramatiques et poétiques..

La Musique

Die Feen se répartit en dix-huit numéros rassemblés en trois actes précédés d’une ouverture. Bien qu’étant une œuvre de jeunesse, il n’en est pas moins un bel opéra qui s’inscrit assez librement dans le genre féerique de l’opéra romantique allemand, déjà riche de chefs-d’œuvre, comme Undine de E.T.A. Hoffman (1816) et Oberon de Carl Maria von Weber (1826). Il débute par une Ouverture clairement inspirée de Weber. Ensuite viennent les trois actes où l’on sent Wagner poussé par l’envie de dépasser la tyrannie des formes closes comme l’air, le récitatif, le trio ou le septuor. La caractéristique principale de cet opéra est sans aucun doute la surabondance des idées musicales, qui rend parfois son déroulement confus, malgré son impact spectaculaire, et se traduit par une longueur de plus de trois heures, peu conventionnelle pour l’époque. Pourtant l’auditeur y entendra l’assurance stylistique d’un compositeur d’à peine vingt ans qui déploie déjà une imagination féconde dans des formes conventionnelles.

Die Feen, comme bon nombre des œuvres écrites vers 1830, présente également un emploi ample et varié du chœur : chœur de fées et de compagnons d’armes de Morald dans le premier acte, de gens du peuple et de soldats dans le deuxième acte, d’hommes et de jeunes filles, d’esprits souterrains, d’hommes de fer et d’esprits invisibles, un lieu commun dans l’opéra romantique, dans le troisième acte.

Wagner montre déjà son inclinaison pour les longues narrations des faits antérieurs, qui semblent projeter les événements dans un monde indistinct, mythique et suspendu, procédé qui se retrouvera dans ses œuvres ultérieures comme le 1er acte de Tristan und Isolde ou tout le long du Ring. Ici, par exemple, le long récit de Gernot dans le premier acte dans lequel le chasseur et serviteur d’Arindal raconte la naissance de l’amour qui lie Arindal et Ada et explique comment le chevalier, qui n’a pu résister au désir d’interroger sa femme aimée sur ses origines, a fini par la perdre. Ailleurs, Wagner défie ouvertement les conventions en confiant à ses personnages de très longues pages, exténuantes sur le plan vocal, qui les obligent à chanter longuement seuls en scène. La grande scène d’Ada dans le deuxième acte Weh’ mir, so nah’ die fürchterlische Stunde (entièrement réécrite par Wagner en 1834), lorsque Ada décide de sacrifier son immortalité plutôt que de renoncer à Arindal en est un premier exemple. Plus loin, la scène de la folie d’Arindal et sa romance finale dans le troisième acte combinent récitatif, arioso et air pour élargir les formes.

Dans l’opéra se trouve aussi une forme élémentaire de leitmotiv, que l’on devrait plutôt appeler motif de réminiscence, avec des motifs certes liés à des personnages et à des situations qui reviennent plusieurs fois, mais leur tempo, leur mélodie et leur harmonisation ne bougent pas. Ce n’est que durant les années de maturité que la richesse de variations, d’élaborations et de métamorphoses de ces motifs permettra de créer, au moyen du leitmotiv,  une nouvelle articulation du déroulement dramatique et du discours musical. .

Comme l’écrit Quirino Principe, “à notre grande surprise, nous sommes devant une œuvre dont on dirait qu’elle ne nous conduit nulle part, qui pourrait être considérée comme une expérience sans suite et qui, en fin de compte, s’offre à nous tel un écrin à moitié ouvert laissant entrevoir les trésors qu’il renferme. Jusqu’à maintenant, l’indifférence a toujours refermé le couvercle, mais pour le rouvrir, nous n’avons désormais plus besoin de la clé”.

Benoit van LANGENHOVE

 

 

Sources utilisées
Candoni, Jean-François. Fées (Les). IN Picard Timothée (dir.). Dictionnaire encyclopédique Wagner. Actes Sud, 2010.
Drüner, Ulrich. (Die) Feen. IN Honegger, Marc ; Prévost, Paul. Dictionnaire des œuvres de l’art vocal A-F. Bordas, 1991.
Prefumo, Danielo. Die Feen (Les Fées) / Traduit par Cécile Viars, Dynamic, 1999.
Principe, Quirino. Ascoltando « Die Feen » IN Die Feen, Teatro Lirico, Cagliari, 1998.

Bibliographie Francophone

Partitions

  • Wagner, Richard. Die Feen : grosse romantische Oper in drei Akten : WWV 32. Ouvertüre und erster Akt / herausgegeben von Peter Jost; IN Sämtliche Werke / Richard Wagner ; Zusammenarbeit mit der Bayerischen Akademie der Schönen Künste, München hrsg. von Carl Dahlhaus, Schott Music, 2010.
  • Wagner, Richard. Die Feen : grosse romantische Oper in drei Akten : WWV 32. Zweiter Akt / R herausgegeben von Peter Jost In Sämtliche Werke / Richard Wagner ; in Zusammenarbeit mit der Bayerischen Akademie der Schönen Künste, München hrsg. von Carl Dahlhaus, Schott Music, 2012.
  • Wagner, Richard. Die Feen : grosse romantische Oper in drei Akten : WWV 32. Dritter Akt und kritischer Bericht / Richard Wagner ; herausgegeben von Peter Jost In Sämtliche Werke / Richard Wagner ; in Zusammenarbeit mit der Bayerischen Akademie der Schönen Künste, München hrsg. von Carl Dahlhaus, Schott Music, 2015.
  • Wagner, Richard. Die Feen : Romantische Oper in 3 Akten: Klavierauszug / herausgegeben von Bert Hagels, Ries & Erler Musikverlag, 2004.

Pour une première approche

  • Candoni, Jean-François. Fées (Les). IN Picard Timothée (dir.). Dictionnaire encyclopédique Wagner. Actes Sud, 2010. P. 677-680.
  • Drüner, Ulrich. (Die) Feen. IN Honegger, Marc ; Prévost, Paul. Dictionnaire des œuvres de l’art vocal A-F. Bordas, 1991. 3 vol, p. 690-691.
  • Leclercq Fernand ; Godefroid, Philippe. Le Tryptique de jeunesse. In Paszdro, Michel (dir.). Guide des opéras de Wagner. Fayard, 1988. P. 19-29.
  • Kaminski, Piotr. Mille et un opéras. Fayard, 2003. Les Fées, p. 1654-1655.
  • Merlin, Christian. Wagner, mode d’emploi. Nouv. éd. L’Avant-scène opéra, Premières loges, 2018. Les Fées, p. 46-47
  • Mezzanotte, Riccardo. Les Fées. IN Dictionnaire chronologique de l’opéra de 1597 à nos jours / traduit de l’italien par Sophie Gherardi. Le livre de poche, 1994. P.339.
  • Millington Barry (dir.). Wagner : guide raisonné. Fayard, 1996. Die Feen (Les Fées), p. 320-323.

Pour approfondir

  • Candoni, Jean-François. La genèse du drame musical wagnérien : mythe, politique et histoire dans les œuvres dramatiques de Richard Wagner entre 1833 et 1850. Lang, 1998.
  • Condé, Gerard. Des fées à Rienzi. In Wagner Rienzi. L’Avant-scène opéra n°279, Premières Loges, septembre 2012.
  • Dalhaus, Carl. Les Drames musicaux de Richard Wagner. Liège : Mardaga, 1994.
  • Gregor-Dellin, Martin. Richard Wagner. Fayard, 1981.
  • Jonard, Norbert. Gozzi Carlo (1720-1806). Encyclopédie Universalis [CD-Rom], 2018.
  • Wagner, Richard. Ma vie / texte français et notes de Martial Hulot avec la collaboration de Christian et Melchior de Lisle. Buchet/Chastel, 1978.