A propos

Un dossier préparé par Benoit van Langenhove

Présentation

Titre original : Das Liebesverbot oder Die Novize von Palermo, Grosse komische Oper in zwei Akten
Titre francophone : La défense d’aimer ou la Novice de Palerme

Livret et musique de Richard Wagner

Référence catalographique Wagner-Werk-Verzeichnis : WWV 38

Rédaction du livret : juin – décembre 1834
Composition de la musique : janvier 1835 – mars 1836

Source littéraire principale du livret :
Measure for Measure de William Shakespeare

Création : Théâtre municipal de Magdeburg, 29 mars 1836, sous la direction de Richard Wagner.

Distribution

Friedrich, Statthalter Siziliens / Friedrich, gouverneur de Sicile (baryton)
Luzio, junger Edelmann / Luzio, jeune noble (ténor)
Claudio, junger Edelmann / Claudio, jeune noble (ténor)
Antonio, Freunde / Antonio, leur ami (ténor)
Angelo, Freunde / Angelo, leur ami (basse)
Isabella, Claudios Schwester / Isabella, sœur de Claudio et novice du couvent (soprano)
Mariana, Novizin im Kloster / Mariana, novice du couvent (soprano)
Brighella, Chef der Sbirren / Brighella, chef de la police (basse bouffe)
Danieli, Wirt einer Weinstube / Danieli, aubergiste (basse)
Dorella, Kammermädchen / Dorella, camériste (soprano)
Pontio Pilato, Diener Danielis / Pontio Pilato, serviteur de Danieli (ténor bouffe)
Richter, Sbirren, Masken, Volk / Nobles, gardes, citadins, masques (chœur)

L’orchestre

Vents
1 piccolo,
2 flûtes,
2 hautbois,
2 clarinettes,
2 bassons.

Cuivres
4 cors,
4 trompettes,
3 trombones,
1 ophicléide (ou tuba).

Percussions
Timbales,
grosse caisse,
triangle,
cymbales,
castagnettes,
tambourin.

Cordes
Violons,
altos,
violoncelles,
contrebasses.

Musique de scène
Cloches,
banda militare (2 piccolos, 5 clarinettes, 4 bassons, 4 cors, 6 trompettes, 3 trombones, 1 ophicléide, grosse caisse, caisse claire, cymbales, triangle)

Durée : La partition intégrale dure environ 5h.

Texte du livret sur OperaGlass : Das Liebesverbot
Partition sur IMSLP :  Das Liebesverbot, WWV 38

Synopsis

L’action se situe à Palerme au XVIe siècle.

Acte I

Scène 1
Une banlieue animée de Palerme. Au premier plan l’auberge de Danieli.
Depuis le départ du roi de Sicile pour Naples, le régent allemand Friedrich dirige le royaume où il cherche à imposer un puritanisme sévère face aux mœurs prétendument débauchées de ses habitants. Son bras droit, Brighella, le chef de la police, proclame ainsi de très sévères décrets bien mal accueillis par la population locale, notamment lorsqu’il s’agit d’interdire le prochain carnaval. Il n’en faut pas plus à Luzio, séducteur dans l’âme, pour décider de se rebeller, d’autant que son meilleur ami, Claudio, vient d’être emprisonné pour offense à la morale à cause d’une liaison hors mariage. Ce dernier le prie d’alerter sa sœur Isabella qui a choisi le noviciat : elle pourrait sans nul doute obtenir son pardon.

Scène 2
La cour du monastère des Elisabéthaines.
On retrouve la jeune femme au couvent qui reçoit les confidences de son amie Mariana, souhaitant elle aussi entrer dans les ordres après avoir été délaissée par son ambitieux époux, un certain Friedrich. Apprenant la triste nouvelle pour son frère, Isabella décide de punir l’hypocrite maître de l’île.

Scène 3
Luzio est séduit par ce bouillant tempérament mais la jeune femme a vite fait de calmer ses ardeurs.

Scène 4
Au tribunal
Brighella, dans l’attente de son maître, joue au juge pour des affaires mineures mais se trouve bien vite dépassé par les événements.

Scène 5
Friedrich entre enfin et, après avoir refusé de revenir sur l’interdiction du carnaval, entame l’interrogatoire de Claudio. Au moment où il prononce la peine de mort, Isabella lui réclame une entrevue. Sous le charme de la belle novice qui se livre à un brillant plaidoyer en faveur de l’amour, il accepte de gracier son frère en échange de ses bienfaits. Outrée, Isabella s’apprête à prendre le peuple à témoin mais le gouverneur prétend qu’il ne cherchait qu’à tester ses valeurs morales. La novice sait alors que seule la ruse pourra sauver Claudio : imaginant se faire remplacer par Mariana, elle invite Friedrich à la retrouver lors d’un rendez-vous nocturne. Celui-ci accepte avec enthousiasme.

Acte II

Scène 1
Le jardin de la prison
Isabella rend visite à son frère en prison. Il lui avoue ne pas comprendre pourquoi cette dernière a refusé les avances de Friedrich si cela pouvait sauver sa vie. Sans changer son projet, elle fait mine de renoncer à l’aider pour avoir eu de telles pensées : l’incertitude sur son destin sera son châtiment.

Scène 2
C’est pendant les festivités carnavalesques maintenues par la population contre l’autorité locale qu’Isabella prétend retrouver le régent. Ce dernier devra d’ailleurs porter un masque : une double entorse à ses décrets.

Scène 3 et 4
Elle ne manque pas de piquer la jalousie de Luzio afin de tester ses sentiments alors qu’elle le soupçonne d’être également épris de son ancienne servante Dorella. La réaction de celui-ci, prêt à en découdre avec son abject rival, ne peut que la rassurer.

Scène 5
Une pièce du palais de Friedrich
Friedrich a beau être rongé par le désir contraire à son apparente morale, il est décidé à maintenir sa sentence funeste tout en goûtant aux plaisirs de la chair quitte à se suicider par la suite. C’est la soirée du carnaval. Malgré son hostilité officielle, même Brighella a fini par se déguiser pour rejoindre la servante Dorella qui a joué les séductrices.

Final
Le soir à l’entrée du corso.
Friedrich arrive comme prévu. Ayant intercepté l’ordonnance qui confirme la condamnation à mort contrairement à sa promesse, Isabella se met à ameuter la foule qui découvre le régent en compagnie de Mariana. La fureur populaire est à son comble : Friedrich doit accepter de subir les rigueurs de ses propres lois. Mais la clémence est bien meilleure conseillère : Claudio est enfin pardonné. Alors que Dorella accepte la main de Brighella, Luzio arrive à convaincre Isabella d’en faire de même et de renoncer au couvent. On annonce le retour du Roi : tous décident d’organiser un grand défilé de carnaval pour l’accueillir, Friedrich et Mariana, réconciliés, en tête.

 

Source :
Opéra national du Rhin, Dossier pédagogique ; saison 2015-2016 ; Wagner ;  Das Liebesverbot. OnR, 2016.

L’œuvre

Dans Das Liebesverbot [La defense d’aimer] Wagner échange les influences mystiques et nordiques des Feen au profit d’une sensibilité plus latine. Et c’est cet élément qui rend cet opéra si singulier dans la production du compositeur. Dans son Esquisse autobiographique de 1842 Wagner feint même de ne pas comprendre son brusque virage : il n’y a pas d’écart stylistique plus large entre l’opéra romantique allemand des Feen et cet opéra-comique vif-argent, résolument tiré vers les modèles français et italiens.

Au moment de la création, l’opéra connut une seule représentation, tumultueuse, et sombra par la suite dans un échec retentissant. Préparée à la hâte en moins de 10 jours, avec des chanteurs peu convaincus, la production reçoit un accueil glacial à la première. Et la deuxième représentation est même annulée suite à une bagarre dans les coulisses sur fond d’adultère… Trois personnes, aux dires de Wagner lui-même, attendaient dans la salle ! Sans réel espoir de le redonner, le compositeur préfère mettre de côté la partition qui finira, en 1866,  dans les mains de son plus fidèle admirateur, Louis II de Bavière.. En 1841, Wagner, qui avait traduit lui-même le livret en français avec soin au point qu’il considérait la version française supérieure à l’allemande, obtient, grâce à l’entremise de Meyerbeer, l’accord du Théâtre de la Renaissance de Paris. Malheureusement, la faillite de ce dernier ruina aussi le projet. Il faut attendre 1923 pour qu’une première reprise voie le jour suivie par quelques rares autres tentatives [1].

« J’entendis combattre l’infamie puritaine et écrire un livret qui serait une glorification hardie de la liberté des sens », écrit a posteriori Wagner au sujet de sa Défense d’aimer. Cet opéra qu’il qualifiera plus tard de péché de jeunesse, et donc exclu de son panthéon lyrique, est une réelle surprise car le plus emblématique des compositeurs allemands y déploie une patte, dans le fond comme dans la forme, très « anti germanique ».

Nommé directeur musical du théâtre de Magdeburg en 1834, le jeune Wagner décide d’y créer son adaptation de la comédie de Shakespeare Mesure pour mesure dont il a eu l’idée lors de vacances estivales passée en Bohème avec son ami Theodor Apel. Il écrit lui-même le livret durant la fin de la saison et se lance dans sa composition l’année suivante. De la pièce originelle, Wagner resserre radicalement l’action qu’il transpose judicieusement d’une Vienne de pacotille à Palerme pour mieux livrer sa charge contre l’hypocrisie bourgeoise de ses compatriotes au nom de l’affirmation d’une sensualité qu’il croit propre à l’Italie. Tirant le texte vers la satire morale et politique, Wagner aboutit à une intrigue plus proche du « scénario de délivrance » de la tradition de l’opéra-comique français que de la comédie shakespearienne.

Deux ouvrages littéraires eurent aussi une influence spécifique : Ardinghello und die glückseeligen Inseln (Ardinghello et les iles bienheureuses) de Wilhelm Heinse et Das junge Europa (La Jeune Europe) de Henrich Laube. Wilhelm Heinse se rattache au mouvement du Sturm und Drang. Son héros, Ardinghello est l’homme universel de la Renaissance italienne. Il est le défenseur de l’amour libre et s’établit avec ses disciples sur les îles grecques de Naxos et Paros où ils proscrivent la propriété et favorise l’éclosion des talents.

Wagner inscrit aussi pleinement Das Liebesverbot dans le mouvement littéraire Jeune Allemagne, dirigé par son grand ami Henrich Laube qui appelle plus que jamais à davantage de libertés dans tous les domaines y compris les mœurs. Quant au parfum féministe de l’opéra, qui fait d’Isabella une intrépide héroïne, il est également à porter au crédit de ce mouvement. Pas étonnant alors de trouver dans l’ouvrage plusieurs allusions à l’époque de la création : Friedrich fait étrangement penser à Metternich et sa politique réactionnaire, tandis que le carnaval de l’acte II rappelle combien ces fêtes italiennes étaient réputées pour être des manifestations politiques déguisées. La portée révolutionnaire de l’opéra est toutefois à nuancer puisque c’est bien le retour du Roi légitime qui rétablit la paix. Nulle volonté de remettre la monarchie en cause pour peu qu’elle soit vraiment soutenue par le peuple. Et pour éviter les foudres de la censure, le jeune compositeur choisit même de débaptiser par précaution l’ouvrage et de l’intituler de façon moins subversive La Novice de Palerme pour éviter de choquer ses premiers spectateurs au moment de la semaine sainte.

Même si quelques passages annoncent le Wagner des grands ouvrages, on aurait du mal à reconnaître sa signature dans les castagnettes et les rythmes endiablés de la première scène. Mais il y a bien des éléments allemands dans ce « grand opéra-comique », notamment par son côté singspiel et quelques références à Beethoven ou Weber, mais c’est plutôt en Italie et en France qu’on doit chercher les sources musicales de cette musique légère et étincelante. Wagner convoque Rossini, Bellini ou Donizetti tout en prenant pour modèle les maîtres de l’opéra-comique français tels Auber ou Hérold [2]. Ce qui ne l’empêche pas d’être audacieux, ce qui l’éloigne du simple emprunt. Musicalement, La Défense d’aimer appartient à la forme opéra-comique puisqu’il alterne dialogues et numéros musicaux. L’emploi du staccato  et de l’écriture syllabique  y est abondant et la tonalité de do majeur y joue un rôle central (ouverture et trois des onze numéros. [3] C’est aussi le premier opéra où des thèmes récurrents (n’utilisons pas le terme leitmotiv, c’est trop tôt) soutiennent la dramaturgie. Les Fées, l’opéra précédent de Wagner, avait réussi à maintenir une certaine unité stylistique et c’est peut-être le manque d’assurance dans le style qui peut expliquer en partie le fiasco de la création.

Benoit van LANGENHOVE

 

Sources utilisées:
Opéra national du Rhin, Dossier pédagogique ; saison 2015-2016 ; Wagner ;  Das Liebesverbot. OnR, 2016.
Caillez, Mathieu. Verdi et Wagner : dramaturgie comparée dans l’optique de la comédie. IN Candoni, Jean-François et al (dir.). Verdi/Wagner : images croisées. Presses universitaires de Rennes, 2018.
Candoni, Jean-François. Défense d’aimer ou la Novice de Palerme (La). IN Picard Timothée (dir.). Dictionnaire encyclopédique Wagner. Actes Sud, 2010
.

 

[1] Parmi les dernières tentatives, signalons la production de l’Opéra national du Rhin dirigée par Constantin Trinks et mise en scène par Marianne Clement (mai 2016) et celle du Teatro Real de Madrid dirigée par Ivor Bolton et mise en scène par Kasper Holten (février 2016) et éditée en DVD/Blu-ray chez Opus Arte.

[2] Comme le rappelle Mathieu Cailliez,, le répertoire de Wagner à Magdebourg comprenait 30 opéras dont 17 ouvrages-comiques 7  opéras-comiques français, 3 opere buffe et un opera semiseria italiens, 6 singspiel allemands dont Fra Diavolo, La Dame blanche, Zampa, Don Giovanni, La Molinara, Il barbiere du Siviglia, Fidelio, Der Freischütz, tous, comme le veut la coutume de l’époque, chantés en allemand.

[3] C’est aussi le cas dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg où le do majeur abonde dans l’ouverture, l’acte I et l’acte III.

Bibliographie Francophone

Partitions

  • Wagner, Richard. Das Liebesverbot : oder Die Novize von Palermo : grosse komische Oper in zwei Akten : WWV 38. Ouverture und erster Akt / herausgegeben von Klaus Döge und Egon Voss In Sämtliche Werke / Richard Wagner ; in Zusammenarbeit mit der Bayerischen Akademie der Schönen Künste, München hrsg. von Carl Dahlhaus, Schott Music, 2015.
  • Wagner, Richard. Das Liebesverbot : oder Die Novize von Palermo : grosse komische Oper in zwei Akten : WWV 38. Zweiter Akt und kritischer Bericht / herausgegeben von Eva Katharina und Egon Vos In Sämtliche Werke / Richard Wagner ; in Zusammenarbeit mit der Bayerischen Akademie der Schönen Künste, München hrsg. von Carl Dahlhaus, Schott Music, 2015.
  • Wagner, Richard. Das Liebesverbot. Vollständiger Klavierauszug mit Text von Otto Singer. English translation by Edward Dent. Traduction française de Amédée et Frieda Boutarel. Breitkopf & Härtel, 1922.

Pour une première approche

  • Candoni, Jean-François. Défense d’aimer ou la Novice de Palerme (La). IN Picard Timothée (dir.). Dictionnaire encyclopédique Wagner. Actes Sud, 2010. P. 511-515.
  • Drüner, Ulrich. Das Liebesverbot oder Die Novize von Palermo. IN Honegger, Marc ; Prévost, Paul. Dictionnaire des œuvres de l’art vocal. Bordas, 1991. Volume 2, p. 1095.
  • Leclercq Fernand ; Godefroid, Philippe. Le Tryptique de jeunesse. In Paszdro, Michel (dir.). Guide des opéras de Wagner. Fayard, 1988. P. 19-29.
  • Kaminski, Piotr. Mille et un opéras. Fayard, 2003. La Défense d’aimer ou la Novice de Palerme, p. 1656-1657.
  • Merlin, Christian. Wagner, mode d’emploi. L’Avant-scène opéra, Nouv. éd. Premières loges, 2018. La Défense d’aimer, p. 48-49
  • Mezzanotte, Riccardo. La Défense d’aimer. IN Dictionnaire chronologique de l’opéra de 1597 à nos jours / traduit de l’italien par Sophie Gherardi. Le livre de poche, 1994. P.209.
  • Millington Barry (dir.). Wagner : guide raisonné. Fayard, 1996. Das Liebesverbot oder Die Novize von Palermo, p. 323-326.

Pour approfondir

  • Caillez, Mathieu. Verdi et Wagner : dramaturgie comparée dans l’optique de la comédie. IN Candoni, Jean-François et al (dir.). Verdi/Wagner : images croisées. 1813-2013 Musique, histoire des idées, littérature et arts. Presses universitaires de Rennes, 2018. p. 45-55
  • Candoni, Jean-François. La genèse du drame musical wagnérien : mythe, politique et histoire dans les œuvres dramatiques de Richard Wagner entre 1833 et 1850. Lang, 1998.
  • Condé, Gerard. Des fées à Rienzi. In Wagner Rienzi. L’Avant-scène opéra n°279, Premières Loges, septembre 2012.
  • Dalhaus, Carl. Les Drames musicaux de Richard Wagner. Liège : Mardaga, 1994.
  • Gregor-Dellin, Martin. Richard Wagner. Fayard, 1981.
  • Wagner, Richard. Ma vie / texte français et notes de Martial Hulot avec la collaboration de Christian et Melchior de Lisle. Buchet/Chastel, 1978.