Son premier opéra, ébauché à l’âge de dix-huit ans, Les Noces, une sombre et diabolique histoire d’amour, de rivalité et de mort dans un moyen-âge lugubre, ne sera jamais représenté. Le compositeur le détruira à la demande de sa propre sœur Rosalie. Qu’à cela ne tienne ! La passion de l’opéra le dévore et le voilà parti pour Wurtzbourg en 1833 où il est parvenu à décrocher un premier poste de remplaçant de chef d’orchestre et de chœur. Il compose alors Les Fées (Die Feen, 1833), un opéra fantastique à la manière de Weber, qui ne sera créé qu’en 1888 soit cinq ans après sa mort. Il occupe ensuite quelques fonctions à l’opéra de Magdebourg qui lui permettent de résoudre ses premières difficultés financières. Sur sa lancée, il écrit La Défense d’aimer (Das Lieberverbot, 1835), opéra d’après Shakespeare, première œuvre à être présentée sur la scène. Profonde déception ! Les musiciens se montrent incapables de jouer en mesure et les chanteurs ne maîtrisent pas leur rôle. Pour couronner la désastreuse soirée, une scène de jalousie entre la prima donna et son amant dégénère en pugilat et il faut interrompre la représentation… !
Richard Wagner épouse Minna Planer, une actrice allemande, qui l’accompagnera à travers les périples de la vie pendant une trentaine d’années. Leur relation, particulièrement orageuse suite aux infidélités répétées de l’un et de l’autre, ne prendra vraiment fin qu’en 1866 à la mort de Minna. Grâce à une carrière que sa beauté et ses admirateurs contribuent à entretenir, elle sera souvent le secours financier du couple dans les moments difficiles. Ils s’installent à Königsberg puis à Riga, en Lettonie. Alors qu’il compose Rienzi (1837-40), les déboires financiers s’accumulent et deviennent insurmontables. Il faut fuir Riga pour échapper aux créanciers. Le couple embarque sur un bateau en direction de Londres. Au large de la Norvège, une terrible tempête fait rage, l’esquif manque de chavirer. Richard et Minna voient la mort de tout près. Les marins chevronnés racontent alors au couple en détresse l’histoire fameuse du Hollandais volant, ce marin blasphémateur, maudit et condamné à errer éternellement sur une mer déchaînée. En voilà un superbe point de départ pour un livret d’opéra !
Londres, puis Paris ! L’espoir est énorme de pouvoir percer. Il achève Rienzi afin de le présenter aux autorités parisiennes. L’œuvre comporte les dimensions du grand opéra tel qu’on le pratiquait en France. Spectacle grandiose qui s’achève sur l’incendie du Capitole de Rome, on y retrouve des scènes de foule qui n’ont rien à envier au Guillaume Tell de Rossini ou aux Huguenots de Meyerbeer. Wagner compte d’ailleurs sur ce dernier, rencontré à Boulogne-sur-Mer, pour l’introduire dans le monde fermé de l’opéra parisien. Malgré une précieuse lettre de recommandation du célèbre compositeur, Paris refuse son œuvre et la pauvreté guette à nouveau le couple. Alors il s’adonne à de petits travaux musicaux. Il transcrit, arrange, orchestre les œuvres des autres. Cela lui permet de subsister. Pendant ses temps libres, il étudie la poésie médiévale germanique qui sera la base de bon nombre de ses opéras. Le salut vient du théâtre de Dresde qui accepte son opéra.
Le retour en Allemagne est enfin source de réussite. Rienzi est créé avec succès en 1842. La riche distribution lui permet de rencontrer des chanteurs qui conditionneront sa typologie vocale à venir. La soprano dramatique Wilhelmine Schröder-Devriendt, spécialiste de Gluck, de Mozart, de Weber et de Beethoven ainsi que Joseph Tichatschek, le prototype du Heldentenor (ténor héroïque) contribueront grandement à la réussite dresdoise. Pendant six ans, Wagner va assurer avec bonheur la direction de l’orchestre du grand théâtre de la ville. Il peut alors laisser libre cours à son talent de compositeur et se détourne du naturalisme de Rienzi pour réintégrer la légende et le mythe au sein de ses œuvres. Deux grands chefs-d’œuvre voient le jour à Dresde : Le Vaisseau fantôme (1843) et Tannhäuser (1845). Le premier reprend le récit du marin maudit en l’assortissant d’une rédemption par l’amour dans la mort. Le second oppose le monde de la volupté charnelle et celui de l’amour sublime dans le cadre d’un tournoi de chant au château de la Wartburg, lieu essentiel de la culture du chant courtois des minnesänger (les troubadours germaniques). S’y opposent en de musicales et poétiques joutes trois réels hérauts du genre, Wolfram von Eschenbach, Walther von der Vogelweide et Tannhäuser.
Mais l’année 1849 voit Dresde, à l’instar d’autres villes allemandes, en proie à une révolution destinée à revendiquer l’unité de l’Allemagne. Wagner y adhère et participe aux émeutes. Il se dresse sur les barricades et, influencé par le révolutionnaire Mikhaïl Bakounine, il fréquente les milieux anarchistes. Quand la révolte est matée par les autorités, Richard et Minna ne peuvent que fuir à nouveau.
C’est en Suisse qu’ils trouvent refuge. Son exil est adouci par l’hospitalité du riche négociant d’art Otto Wesendonck et sa jeune et belle épouse Mathilde qui mettent à sa disposition une petite maison dans leur propriété zurichoise, l’ « Asile ». Là Wagner se remet au travail et achève son nouvel opéra, Lohengrin, dont le livret avait été composé à Dresde. L’œuvre sera créée en son absence grâce à l’amitié de Franz Liszt qui, en poste à Weimar, reconnaît chez Wagner, le génie qu’il faut absolument soutenir. Le grand pianiste et chef d’orchestre profite des fêtes consacrées à Goethe pour donner la première de Lohengrin en 1850. Le succès est fort mitigé.
Wagner suit fébrilement tous les événements de la création depuis la Suisse. Il faut dire que l’œuvre est novatrice et représente une véritable charnière dans sa vision du drame musical. Lohengrin, au-delà d’une critique politique du temps, se présente comme une histoire d’amour où le merveilleux joue le rôle essentiel. Le chevalier au cygne, envoyé par le graal pour sauver Elsa de Brabant d’une injuste accusation, déploie un chant nouveau, intemporel. Les lignes vocales tendent à la continuité et l’orchestre prend une dimension inouïe dans la fosse d’opéra. Il ne s’agit plus, désormais, de ponctuer les lignes vocales, mais de les commenter, de les paraphraser. Si on y distingue encore une bonne part des anciennes subdivisions du théâtre musical, on devine le besoin de fondre toute l’action dans un continuum sonore de plus en plus efficace. La réflexion sur l’écriture de Lohengrin amène le compositeur à rédiger de nombreux textes théoriques qui veulent exprimer l’œuvre d’art de l’avenir et les nouveaux contours du drame musical.
Onkelinx, Jean-Marc, Richard Wagner, Le musicien philosophe. In Wagner dans tous ses états : numéro spécial à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. Revue du Cercle Belge Francophone Richard Wagner, 2013, vol. 46.
© Tous droits de reproduction réservés.