Les Presses universitaires de Rennes viennent de sortir un livre interdisciplinaire sur le « couple » Verdi/Wagner. Cet ouvrage, dirigé par Jean-François Candoni, Hervé Lacombe, Timothée Picard et Giovanna Sparacello, propose une étude comparée des deux compositeurs à partir de différentes approches complémentaires. Il permet de suivre les strates culturelles, intellectuelles et artistiques de deux créateurs, de leurs deux productions lyriques et de deux univers, de formes d’expression différentes.
Extrait de l’introduction :
Le point de départ de ce parcours est l’étude comparée de la production artistique des deux compositeurs (Première partie : Dramaturgie et interprétation). On procédera en deux temps; tout d’abord en considérant les deux façons d’aborder l’opéra à partir de thèmes particuliers (dramaturgie), puis en observant les diverses manières de le réaliser (interprétation). L’instrumentalisation politique de Verdi en Italie et de Wagner en Allemagne est bien connue; mais avant même d’être objets d’appropriations pour des causes ou des idéologies, l’un et l’autre ont fortement inscrit dans leurs œuvres la dimension politique. Une véritable dramaturgie du pouvoir organise Rienzi comme Simon Boccanegra(Stéphane Pesnel), et la comparaison du Trouvèreet de Tannhäuser peut nous révéler deux visages du romantisme politique (Jean-François Candoni). Abordés le plus souvent par le biais des grandes questions qui animent leurs ouvrages, Verdi et Wagner ne se limitent cependant pas aux drames et aux cris, aux souffrances et aux pleurs. À l’opposé de la « tragédie du pouvoir », Les maîtres chanteurs de Nuremberget Falstaff, mais aussi Das Liebesverbotet Un giorno di regno, déplacent la comparaison sur le terrain de la comédie (Matthieu Cailliez). Construire un drame en musique, c’est aussi inscrire le personnage dans l’ordre vocal. L’étude de l’interjection lyrique, en tant que langue en action, sursaut de lyrisme et usage de la langue propre à chaque auteur, permet d’aborder les deux vocalités verdienne et wagnérienne à partir d’un point extrêmement précis et défini (Michel Lehmann). Les deux principaux systèmes lyriques (le mélodrame italien et le drame musical) que manipulent Verdi et Wagner semblent incompatibles; cependant, à la fin du XIXe siècle, la nouvelle génération italienne les a rapprochés; la critique a même souvent insisté sur le fait que Verdi devenait de plus en plus wagnérien au cours de sa carrière. Il convient donc de s’interroger sur la question d’un supposé wagnérisme dans les dernières œuvres du maître italien (Philip Gossett).
La figure du héros est probablement le vecteur dominant de la dramaturgie lyrique chez Verdi comme chez Wagner. Ses incarnations successives éclairent la manière dont l’esthétique du grotesque d’une part et le recours à la mythologie d’autre part ont permis aux deux compositeurs d’explorer la complexité et le désordre de l’humain, jusqu’à proposer des exemples de anti-héros (Chantal Cazaux). L’opéra ne s’accomplit vraiment que dans la représentation scénique. Au-delà des codes d’interprétation, des poses et du jeu, les interprètes doivent rendre compréhensible ce qui se déroule sur scène, ce qui s’y dit et s’y joue. Il leur faut une forme d’intelligence de l’œuvre afin d’offrir au public une forme d’intelligibilité de cette même œuvre. Comprendre et faire comprendre se situe au cœur du jeu des interprètes et au cœur de la conception verdienne comme de la conception wagnérienne de l’acteur-chanteur (Céline Frigau). Autre héros capital de la représentation et, sur un autre plan, de la postérité en tant qu’acteur d’une inscription durable au répertoire, le chef d’orchestre mérite toute notre attention.La carrière de Toscanini permet de suivre dans l’histoire le nouage entre les figures d’autorité – Verdi, Wagner, le chef – et le mouvement de leur consolidation ausein du grand répertoire international (Timothée Picard).