© Photo : Benoit van Langenhove

Situation sanitaire

Après avoir mal débuté la pandémie, l’Autriche se devait de rattraper la sauce lors de ces vacances d’été. Heureusement pour nous, les Belges étaient encore acceptés et au moment du retour vers la mère patrie, du moment que nous passions au large des régions de Vienne et de la Haute Autriche (voisin du Land de Salzbourg), les mesures de quarantaine sont évitées. Le port du masque est peu pratiqué : obligatoire dans les supermarchés, limitations du nombre de personnes par magasins, port d’une mini visière par le personnel des cafés et des restaurants sont les mesures les plus visibles. Dans les espaces publics, le port du masque est rare et semble plutôt le fait des voyageurs en visite. Ainsi, par exemple à Salzbourg, vous avez plus de porteurs de masques dans la altstadt, plus touristique que dans le reste de la ville. Quant à la distanciation sociale, elle est très peu respectée par les locaux. Autre sujet d’étonnement, l’usage immodéré de l’argent liquide. On connait l’atavisme des pays germaniques pour les payements en monnaie sonnante et trébuchante. On aurait crû que, comme en Belgique, la crise aurait poussé le payement électronique. Il n’en n’est rien.

Salzbourg

Les touristes sont toujours présents dans la ville, mais en nombre plus faible, mais cela n’empêche pas la Getreidegasse ou la Linzergasse d’être fortement occupées à certains moments de la journée. Les visiteurs viennent des pays proches : l’Allemagne, les pays de l’Europe de l’Est, quelques Italiens et au milieu de tout cela, les Français semblaient le sommet de l’exotisme lointain.
Dans la ville, quelques magasins fermés marquaient l’empreinte de la débâcle économique. Même des enseignes qu’on a connu de tout temps ont disparu. A force de les retrouver chaque année, on les croyait immortelles, quand elles tenaient seulement par la force de l’habitude. La première bourrasque du printemps les a emportées. D’autres on préféré s’expatrier dans d’autres lieux de la ville comme le Carpe Diem (une étoile au Michelin) parti dans le quartier d’affaires à côté de l’aéroport de la ville rechercher une clientèle plus stable et moins sujette aux aléas du tourisme. Autre élément pour prendre la température du tourisme, les galeries d’art qui, les autres années, sortaient pour les festivaliers les trésors piochés dans l’art international ne proposaient plus que des artistes à l’aura plus locale.

Les restaurant, autrefois pris d’assaut, ferment dès dix heures du soir. Les spectateurs rentrent chez eux et les rares fêtards ne peuvent pas assurer la rentabilité d’un service prolongé.  On aurait pu espérer que la chute du tourisme aurait pu pousser les magasins locaux vers des soldes monstres. Hélas pour l’amateur de bonnes affaires, il n’en a été rien jusqu’à la dernière semaine d’août. Même l’article phare, les Mozartkugeln, n’attirait plus le chaland au point que le supermarché marché Billa, près de la passerelle sur la  rivière Salz, ne proposait qu’un maigre présentoir. Et même la guerre des prix a disparu. Pire, le prix du paquet à augmenté d’un euro.   Au milieu de ce marasme, le bar spécialisé dans la bière belge (Alchimiste Belge, Bergstrasse) résiste vaillamment : le public (jeune et local) envahissait littéralement la rue lors de notre passage…

Cosi fan tutte © Salzburger Festspiele / Monika Rittershaus

Festival

Le Festival de Salzbourg aurait dû fêter fastueusement son 100e anniversaire. Du fait de la crise sanitaire exit les 200 représentations habituelles au profit d’un modeste programme d’une centaine de manifestations dont deux opéras, des concerts, l’inusable Jedermann, une exposition « Grosses Welttheater », etc. L’événement était important aux yeux des autorités qui ont accepté, par avance, de couvrir tous les déficits.

Les deux opéras étaient tiré du répertoire habituel du lieu : Elektra de Richard Strauss et Cosi fan tutte de Mozart

Mesures

Les représentations de Salzbourg sont considérées comme un ballon d’essai pour les théâtres et les opéras du monde entier, désespérés de trouver un moyen de fonctionner à l’ère de Covid.
Dès le Shop du Festival, les mesures entrent en scène. Distanciation sociale et masques sont de rigueur avec du personnel d’accueil chargé de faire respecter les règles. A l’intérieur, pas de marchandises proposées aux festivaliers, sauf le masque buccal noir ou blanc siglé de l’écusson du Salzburger Festspiele. Plus étonnant, la vente des programmes d’opéras renvoyée à une librairie proche. Si les programmes restent payants pour concerts, ceux des récitals sont gratuits.
Pour l’entrée en salle, les dispositifs déployés pour les spectateurs étaient multiples. Strict contrôle d’identité, mais la multiplication des portes d’entrée évite les files d’attente ; circuits différenciés en fonction de votre emplacement dans la salle. Au parterre, les spectateurs sont placés en quinconce.  Même en couple, ils sont séparés par un fauteuil laissé vide. Ce qui ma foi, offre pas mal d’avantages : place supplémentaire pour les longues jambes, pas de risque d’avoir un grand sportif qui vous bouche la vue par sa haute taille, impossibilité pour les bavards impénitents de se lancer dans des potins ou des explications de texte au cours du spectacle. De plus, en raison des risques existants, seul des vrais mélomanes assistent aux spectacles, ce qui entraine une forte concentration du public et une quasi-disparition des quintes de toux (souvent provoquées, soyons méchant, par des invités de sponsors et des touristes qui ne savent pas toujours dans quelle marmite ils tombent, provoquant leur ennui, bâillements et quintes de toux). Si les conséquences n’étaient pas aussi dramatiques, on en viendrait presque à apprécier la situation. Plus laxiste, le balcon de la Mozarthaus permettait aux couples de s’asseoir côte à côte.

Elektra – © Salzburger Festspiele / Bernd Uhlig

Les tenues de soirée, les dirndl, trachten et les smokings étaient rares. On pourrait croire que le jeu social déplacerait le concours de beauté vers les masques de protection, mais non, les efforts d’habillement sont peu nombreux. En dehors des masques dit chirurgicaux, les masques du Festivals sont les plus nombreux. Un couple propose un superbe masque de couleur bronze pour monsieur et bleu nuit pour madame, d’autre choisissent de porter un masque au même design. La palme de la fantaisie revient à un couple avec un motif de Van Gogh pour monsieur et un motif de Kandinsky pour madame.

Concerts et opéras

Covid oblige, le metteur en scène Christof Loy et la cheffe d’orchestre Joana Mallwitz ont réalisé une production de l’œuvre de Mozart très habile, préservant, malgré la coupure de près de 45 minutes de musique, cohérence et profondeur.
Loy parle de Così fan tutte comme d’un opéra sur la tension presque insupportable entre la joie et la douleur. Pour lui, la mélancolie obscurcit toute la pièce, on y parle de sentiments honnêtes, et cela se reflète également dans la musique. Et pour ce drame intemporel, un grand mur blanc avec deux portes et quelques marches suffit pour mettre en scène les abîmes des relations interpersonnelles. Et la loyauté cynique du final passe aussi naturellement que s’il s’agissait d’un drame réaliste dépourvu de toute convention théâtrale. Même si les quatre amoureux sont très individualisés, Loy en a fait un ensemble mozartien soudé. Trois Françaises se partageaient les rôles féminins (Marianne Crebassa, Elsa Dreisig et Lea Desandre) face au sombre baryton André Schuen et au puisant ténor Bogdan Volkov, entendu récemment à la Monnaie dans Les Contes du Tsar Saltan de Rimsky-Korsalov.
Joana Mallwitz contrôle l’Orchestre Philharmonique de Vienne d’une main de fer pour un Mozart qui s’inscrit dans la descendance de Georges Szell ou de Sylvain Cambreling.

Notre deuxième soirée était un récital de Benjamin Bernheim consacré à la mélodie française et à Strauss.  Sa grâce et sa rigueur se sont imposées immédiatement dans les Nuits d’été de Berlioz. Les mélodies de Duparc bénéficiaient tout autant de ses qualités d’articulation miraculeuse qui habille chaque mot d’intentions et d’intelligibilité. En dernier bis, Lehar lui a permis de mettre la salle debout et hystérique avec sa voix de velours.

On n’attendrait pas la mezzo lettone Elina Garanča dans le répertoire wagnérien. Pourtant, elle y apporte la radieuse volupté de son timbre rond, une émission idéalement souple, dont l’articulation habille chaque mot d’une clarté de diction et d’intelligence. Ses Wesendonck Lieder sont narratives,  à fleur de peau, sur un jeu discret de souvenirs lointains et de mélancolie, sans le lourd pathos, la recherche de la ligne de chant infinie et éperdue de ses collègues. A ses coté Thielemann, privé de Bayreuth, avait enfin l’occasion de déployer sa fibre wagnérienne.

Arte Concert

A défaut de pouvoir accueillir les spectateurs en nombre, Le Festival de Salzbourg s’est associé à Arte Concert pour proposer de très nombreuses retransmissions de concerts et d’opéras en direct ou tirés des archives. C’est notre amie Myriam Hoyer qui a ouvert le bal avec la captation de la production d’ouverture : l’Elektra  de Richard Strauss mise en scène par Krzysztof Warlikowski et dirigée par Franz Welser Möst. La tâche était périlleuse : l’opéra était retransmis par de nombreuses chaines de télévision, diffusé dans les cinémas et sur internet. Il fallait concilier la demande de plans larges (pour les grands écrans des salles de cinéma) et les gros plans pour les téléphones portables. Myriam s’en est admirablement sortie et nous gardons en mémoire des merveilleux plans comme cette image de Clytemnestre et d’Elektra s’affrontant autour d’un miroir ou ce plan d’ensemble de la scène avec au bas de l’image Welser Möst et la Philharmonie de Vienne.

Il faut dire que le mise en scène de Warlikowski jouant sur la fine psychologie freudienne des personnages offrait un matériau de choix pour ses caméras. Ausrine Stundyte (Elektra), Asmik Grigorian (Chrysothémis) et Tanja Ariane Baumgartner (Clytemnestre) parviennent à être crédibles même en gros plan.

 

 

Benoit van Langenhove