Philippe Givron nous a signalé cet article :
« Why these five so-called ‘great’ composers are simply overrated » publié sur Classical Music.
L’extrait de l’article, tiré du magazine britannique BBC Music, propose des opinions peu conventionnelles sur cinq compositeurs majeurs — Berlioz, Brahms, Britten, Mendelssohn et Wagner — souvent considérés comme des piliers de la musique classique. Cinq auteurs livrent leurs points de vue personnels sur les raisons pour lesquelles, selon eux, ces figures emblématiques seraient surévaluées. Nous avons choisi de vous présenter le paragraphe consacré à Wagner.
Chaque avis est un cocktail maison, basé sur un savant mélange de goûts perso, d’analyses stylistiques (à la loupe) et d’un brin de mauvaise foi. Alors, est-ce que ces auteurs britanniques jouent les rabat-joie sans raison, ou jouent, sourire en coin, aux trouble-fêtes, ou cherchent-ils surtout à lancer une vraie discussion sur la manière dont on sacralise (ou pas) nos musiciens préférés ? À vous de trancher. En tout cas, cet article vous propose de tendre l’oreille avec un peu de clairvoyance et de secouer nos vieilles idées toutes faites. Bref, mettre un petit coup de pied dans la fourmilière des idées reçues !
Compositeurs surévalués : Richard Wagner (1813–1883)
Par Geoff Brown
Wagner, oh Wagner ! Je reconnais pleinement sa grandeur, son originalité et son impact révolutionnaire : des générations de compositeurs au XIXe siècle et au-delà ne sont pas tombées sous son emprise sans raison. Pourtant, chaque fois que je ressors d’un de ses opéras, je ressens un besoin irrépressible de retrouver ma santé, ma lucidité et mon sens des proportions en écoutant quelque chose de court et léger, sans la moindre note chantée. Une pièce pour piano de Satie ou une babiole musicale d’Eric Coates [compositeur de musique légère britannique] fait généralement l’affaire.
Une partie de mon problème vient de la dramaturgie des livrets de Wagner. Le rythme avance avec une lenteur de tortue. Les personnages passent des éternités à ruminer leurs pensées ou à rappeler des actions passées que le public n’a pas vues. De plus, les intrigues de ses opéras – si l’on peut les appeler ainsi – sont difficiles à avaler, à moins d’avoir un intérêt particulier pour les coûts de construction à Walhalla (pas vraiment sur les circuits touristiques habituels), ou pour des quêtes interminables du Saint Graal, ou encore d’apprécier la compagnie de géants qui utilisent des casques magiques pour se transformer en dragons.
Autre problème lié aux livrets, bien que ce ne soit pas entièrement la faute de Wagner : ses opéras sont une invitation à des mises en scène ridicules ou incompréhensibles. J’ai vu un Tristan und Isolde se dérouler en périphérie de ce qui ressemblait à un énorme siphon, et des Filles du Rhin apparemment vêtues de spaghettis. Parfois, mes yeux finissent par s’habituer aux interprétations visuelles wagnériennes des metteurs en scène; mais souvent, ils n’y arrivent pas du tout.
Des longueurs musicales interminables
Wagner ne peut cependant pas échapper à la critique pour une grande partie de ses opéras. Je fais volontiers exception pour les sections purement orchestrales : une musique souvent d’une puissance visionnaire, harmoniquement extraordinaire, avec de l’élan et une beauté à couper le souffle. Ces parties sont présentées en pièces séparées lors de concerts et dans des enrregistrements. Malheureusement, comme Wagner écrit des opéras, ses personnages finissent par chanter ; et pas dans des morceaux remarquables mais dans de longues plages de divagations musicales imposées par les divagations des livrets. C’est là que mon supplice commence, atteignant probablement son sommet avec la narration de Gurnemanz dans l’acte I de Parsifal, qui semble durer jusqu’à la fin des temps. Pendant ces passages interminables, les oreilles en berne, je tente de me consoler en me rappelant l’énergie et l’éclat des finales de Donizetti ou d’un chœur de Verdi. Il est aussi possible, je trouve, de se lasser des célèbres leitmotivs de Wagner, malgré toute l’ingéniosité de ce dernier à les concevoir et à les utiliser pour relier ses constructions monumentales.
Le problème de fond : le sérieux excessif
Le vrai problème, pour moi, c’est que Wagner se prend terriblement au sérieux. Je ne m’attends pas à ce que tous les opéras dansent comme La Veuve joyeuse de Lehár : Wagner poursuivait un objectif très différent et il avait tout à fait le droit de le faire. Mais son sérieux serait bien plus supportable s’il avait su intégrer en chemin quelques vertus que l’on trouve régulièrement dans des œuvres moins prétentieuses : un sens de la mesure, de la proportion et de l’humilité ; et aussi de l’humour. Cela dit, s’il l’avait fait, Wagner n’aurait pas été Wagner.
Geoff Brown est un critique musical britannique connu principalement pour ses contributions au journal The Times. Avant de se consacrer à la musique classique, il a également été critique de cinéma pour le même journal, ce qui lui donne une perspective artistique assez large.