© Monika Rittershaus - Gotterdammerung - La Monnaie , 2025

La Monnaie rend à Wagner son pouvoir visionnaire

Une fresque captivante et lisible, portée par la direction incandescente d’Altinoglu. À l’image du monde, la Tétralogie de Wagner est une cosmogonie en soi, où l’imagination sans limite – qu’on appellera ici le « génie » – de Wagner trouve un exutoire à sa (dé)mesure, où le texte et la musique ne font qu’un, où la mise en forme renferme assez de couches de sens pour que chaque spectateur y décèle une révélation singulière. Encore faut-il que les maîtres d’œuvre aient le chic (l’humilité) de laisser Wagner s’exprimer. La production donnée en ce moment à la Monnaie y parvient de façon spectaculaire, doublement saluée le soir de la première par l’extraordinaire attention du public et la standing ovation finale.

L’article complet de Martine Mergeay sur le site de la Libre.

« Götterdämmerung », une fresque intemporelle magnifiée à La Monnaie

Le Ring de Wagner est une expérience totale dans laquelle on plonge à corps perdu. Un récit fleuve de seize heures qui raconte le déclin des dieux et l’avènement des hommes. Au centre, l’histoire du vol de l’or du Rhin, vecteur de toute-puissance symbolisé par un anneau maudit, qui confère un pouvoir absolu mais entraîne la ruine de ceux qui le possèdent. Un monde qui s’effondre que Pierre Audi place en parallèle de l’innocence des enfants. Comme pour souligner plus encore l’absurdité de ce qui vient de se dérouler sous nos yeux. L’ambition de Wagner en composant le Ring ? Constituer une nouvelle mythologie, racontant l’émergence d’une nouvelle Allemagne. Une lutte de pouvoir, faite de trahisons, qui semble on ne peut plus contemporaine.

L’article complet de Gaëlle Moury sur le site du Soir.

Dieux Crépusculaires à La Monnaie

Sur scène, les corps évoluent au ralenti dans une atmosphère éthérée, dépourvue de toute identification temporelle. Pierre Audi, qui avait signé un Ring à Amsterdam à l’aube des années 2000, connaît la Tétralogie et semble avoir maturé vers l’épure, le crépuscule dans son aspect élémentaire.

De tout ce vide pourrait émerger une vision techno-futuriste du Ring, bien éloignée des imageries héraldiques traditionnelles. Plus proche d’un opus « néantisé », la gestion des lumières en architecture rappelle l’esthétique du Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, tandis que l’univers aseptisé convoque la froideur métaphysique des odyssées kubrickiennes. À mi-chemin d’un univers à la Docteur Strange qui saurait plier le temps, et des dessins futuristes de Mœbius, la musique se dessine en intemporel.

Les modules aux reflets métalliques diffusent la lumière spectrale (presque ennemie d’un public qui plisse les yeux), tandis que les tôles pliées jonchant le sol – à la manière des accumulations d’Arman – évoquent l’abandon terrestre et l’échec des Hommes.

Les costumes, entre ligne efficace des tenues de jour et un chic d’apparat, laissent transparaître quelques références au design totalitaire de Gareth Pugh et Rick Owens, confrontant lin froissé, sac de fils et cuirs cavaliers. Le lien stylistique est aussi perceptible avec l’univers d’Eiko Ishioka, costumière japonaise ayant collaboré avec Pierre Audi pour son Ring en 1998-1999, et dont l’héritage (génie nippon et apparente simplicité) semble inspirer, depuis son décès, une nouvelle génération de créateurs.

L’article complet de Soline Heutebise sur le site d’Olyrix.

 

Wagner à la Monnaie: quand les dieux tombent des nues

Pierre Audi achève en beauté le « Ring » de Wagner par un « Crépuscule des Dieux » onirique et dépouillé. Avec la complicité d’Alain Altinoglu et d’un orchestre en toute grande forme.

Au-delà de la réussite scénique de Pierre Audi, le vrai héros de cette production – et cela depuis le premier épisode de ce «Ring» –, n’est autre qu’Alain Altinoglu à la tête de l’orchestre de la Monnaie. L’artisan ultime de ces longues heures de musique, c’est bien lui, ce chef qui connaît son Wagner sur le bout de la baguette, et le partage avec un plaisir communicatif. Sa lecture brillante de la partition et la précision de son geste aussi attentif aux musiciens qu’aux chanteurs sont d’inestimables atouts pour ne jamais se noyer dans ces interminables vagues sonores. Que de verve, décidément, dans cette fosse où se joue une partition aux entrelacs si complexes. Que de couleurs et de reliefs dans ces splendides interludes que sont le voyage sur le Rhin ou la marche funèbre. Que de tension dans ces climax étourdissants chers au maître de Bayreuth.
L’article complet de Stéphane Renard sur le site de L’Echo.

 

Le Crépuscule des dieux

On retrouve avec bonheur Ingela Brimberg en Brünnhilde, royale dans sa puissance naturelle qui lui permet de faire entendre et voir dans leur plénitude tous les sentiments extrêmes auxquels Siegfried la soumet. Pour ce dernier, on découvre Bryan Register, prenant la relève de Magnus Vigilius. Il a indiscutablement les ressources vocales du rôle, un Heldentenor d’une solidité sans faille, mais il n’arrive pourtant pas à convaincre aussi pleinement que son prédécesseur, peut-être à cause d’un physique moins adapté au personnage.

On avait vu et entendu Nora Gubisch en Erdad dans Siegfried. La voici à présent en Waltraute, rôle magnifiquement fatidique, autour duquel se joue le dénouement de toute cette dernière journée. Dès les premières phrases, on constate une artiste de grand talent et d’une exceptionnelle intelligence dramaturgique, dont on suit mot par mot son explication de la détresse des dieux, avec le souffle coupé… tout en sentant que le sien est quelquefois à la limite, surtout dans les notes supérieures, où la baguette du chef aurait pu s’alléger de quelques onces pour le bien de la cause…

Le rôle dominant dans Le Crépuscule des dieux est évidemment celui de Hagen, assurément le plus imposant de toutes les « basses noires » wagnériennes. Il est conçu pour des géants, au physique comme au vocal, et le moins qu’on puisse dire est que Ain Anger s’inscrit d’autorité dans la monumentale cohorte des Greindl, Ridderbusch, Salminen, Haugland, etc. Vêtu de noir, prêtre d’une religion satanique à la stature colossale, il fait retentir le plus naturellement du monde des résonances cuivrées qui dameraient le pion à n’importe quel trombone basse.

L’article complet d’André Lishke est sur le site de l’Avant-Scène Opéra.

À la Monnaie de Bruxelles, Le Crépuscule des dieux… mais pas de la musique !

Ain Anger éructe la haine de Hagen avec une puissance à faire froid ans le dos, décuplée par l’absolue fermeté du dessin mélodique. Andrew Foster-Williams sculpte les manigances pathétiques de Gunther dans un baryton au galbe impeccable. Il a pour sœur la Gutrune d’Anett Fritsch, soprano qui brûle les planches par son lyrisme éperdu, avec dans le timbre d’ensorcelants accents charnels rehaussés par quelques reflets d’argent. Comme lors des précédents épisodes, Scott Hendricks est toujours un Alberich à la morsure venimeuse. Au Crépuscule, régler les équilibres, veiller à la cohésion d’ensemble et à la précision du détail instrumental sont des qualités nécessaires mais pas suffisantes. Tout cela, Alain Altinoglu, certes, le maîtrise à la perfection – l’Orchestre de la Monnaie n’a jamais sonné avec autant de plénitude (tout comme le chœur masculin, splendide et effroyable). Mais il y a bien plus dans cette direction musicale suprêmement activiste et théâtrale : une vision, un contrôle total de l’architecture, des abrupts et des cataclysmes, un incendie permanent – miracle !

L’article complet d’Etienne Dupuy sur le site de Diapason.

Wagner en Grimm

Mais Alain Altinoglu ne se laisse jamais enivrer par les splendeurs sonores de son orchestre. Il est constamment à l’écoute de ce qui se passe sur scène. Le début du prologue en est un excellent exemple, à mettre en regard avec la première scène de l’acte III. Confronté à des Nornes qui se révèlent excellentes diseuses mais un peu avares en puissance (Marvic Monreal, Iris Van Wijnen, Katie Lowe), Altinoglu retient ses chevaux et contient son formidable volcan orchestral dans des limites qui permettent au texte de « passer », créant une atmosphère de poésie lunaire. Face à des Filles du Rhin qui elles sont dans un festival de jouissance vocale (Tamara Banjesevic, Jelena Kordic, Christel Loetzsch), il déchaîne toutes les ressources de sa phalange. La beauté du Rhin ruisselle via les cors, les clarinettes, les harpes, les contrebasses. Un sentiment de panthéisme, de communion avec la nature envahit alors le spectateur. Cette interaction permanente entre les capacités de la fosse et celles de la scène est la signature des grands chefs d’opéra.
L’article complet de Dominique Joucken sur le site de Forum Opera.