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Siegfried

par Dominique Joucken, membre du Cercle.

 

Comme dans les volets précédents, c’est d’abord la splendeur de l’orchestre qui frappe l’oreille. A la tête d’une phalange d’une virtuosité presque sans égale dans ce répertoire aujourd’hui, Sir Simon Rattle se délecte des sortilèges de l’instrumentation wagnérienne. Opéra du feu et de la nature, Siegfried se prête particulièrement à une radiographie orchestrale. On entendra donc ici des détails que l’on ne se souvient pas avoir perçus ailleurs : il faut entendre ces bassons qui ricanent dans les scènes où Siegfried et Mime se confrontent, les cuivres graves du prélude de l’acte II, les harpes qui accompagnent le héros lorsqu’il traverse le feu magique, la douceur des cordes qui confine à l’inaudible dans « Ewig war ich, ewig bin ich »… La liste n’est pas exhaustive, et la créativité du chef est sans limite. Une idée chasse l’autre, au point que l’oreille peut parfois saturer face à cet amoncellement de trésors déversés à pleines mains. Surtout que les habitudes d’écoute des wagnériens sont bouleversées : cette façon de passer l’orchestre aux rayons X est l’antithèse même du principe de la fosse couverte de Bayreuth, où les plans sonores ont tendance à se mélanger. Et ce soin presque maniaque du détail, cette façon de concevoir la musique comme une succession d’événements timbriques font de Rattle l’exact opposé d’un chef comme Joseph Keilberth, qui concevait son Ring comme une coulée de lave, où il se tenait comme à distance de la matière sonore, vue comme trop brûlante. Tout est affaire de goût, et les deux approches se défendent. Mais il faut saluer la cohérence des options choisies par le chef britannique, et la qualité de la réalisation fera date.

Au niveau vocal, la satisfaction est moindre. Il faut d’ailleurs noter que, à l’exception du Wotan de Michael Volle (encore était-il remplacé en dernière minute par James Rutherford dans la Walkyrie), tous les protagonistes ont changé en cours de route. Cela n’est jamais très bon signe. Surtout que les nouveaux noms sont plutôt moins bons que ceux qui avaient débuté l’aventure. On exceptera la Erda de Gerhild Romberger, qui met toute la moirure de son vrai contralto au service d’un portrait à la fois minéral et vivant. Mais remplacer le très beau Alberich de Tomasz Konieczny par Georg Nigl n’est – à notre avis – pas vraiment une trouvaille : au lieu du chant fin et châtié, on nous sert un sprechgesang certes bien exécuté, mais terriblement banal, alors que l’Or du Rhin nous avait promis une relecture de ces rôles « noirs ». Il y avait chez Konieczny un côté belcantiste qu’on ne retrouve plus ici. Même tableau avec le Mime de Peter Hoare. Certes, le ténor britannique sait ce qu’est un chant vipérin,  et l’insinuation comme le venin se retrouvent dans son interprétation, mais Herwig Pecoraro nous avait promis davantage en matière de réinvention. Les deux Nibelungen nous ramènent vers une certaine tradition du chant wagnérien, que la direction de Simon Rattle contredit avec éclat, ce qui crée une certaine confusion.

Disponible en CD, streaming et téléchargement.

 

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