Forum Opera
Un torrent de musique
C’est d’abord pour la musique qu’il faut découvrir le nouveau Tristan und Isolde proposé par l’opéra de Liège. Non que la mise en scène de Jean-Claude Berrutti soit sans mérite. L’idée de situer l’action dans les premières années du 20e siècle se déploie avec bonheur grâce aux costumes élégants de Jeanny Kratochwil. Les projections en fond de scène sont d’une beauté prenante : la mer au premier acte, et un jardin au deuxième, qui pivote d’une façon qui soutient l’action et hypnotise le spectateur par son pouvoir poétique. Et quelle bonne idée d’avoir filmé la fontaine dont parle le livret, ce qui permet de respecter la volonté du compositeur sans avoir à subir le « glou-glou » des productions traditionnelles. Les chanteurs sont bien dirigés, et l’histoire se déroule sous nos yeux avec clarté. Le problème est que le metteur en scène, en parallèle, sacrifie à quelques grands classiques du Regietheater : le double de Tristan, plus âgé, qui se promène en scène en permanence, l’idée de présenter toute l’histoire comme le délire d’un malade soigné en hôpital psychiatrique, le travestissement d’Isolde en infirmière, … Et que, entre son niveau de lecture plus classique et cette déconstruction, Jean-Claude Berrutti ne choisit pas vraiment. L’opéra hésite sans cesse entre modernité et lisibilité, et ne trouve jamais son équilibre. La fin du troisième acte est particulièrement malvenue, puisque tout l’aspect émotionnel lié au retour d’Isolde, à la mort de Kurwenal et au pardon de Marke est évacué. Les vrais atouts de cette production sont donc musicaux.
La critique complète de Dominique Joucken sur Forumopera.
L’Echo
Interview du metteur en scène, Jean-Claude Berutti
Toute mise en scène s’appuie sur une lecture personnelle de l’œuvre. Quelle est la vôtre?
Je suis parti du titre d’un de mes livres favoris du romancier Antonio Tabucchi, « Tristan meurt » (qui raconte l’agonie d’un ancien résistant italien se remémorant le passé, NDLR). Pour moi, Tristan passe quatre heures à mourir, pendant lesquelles il évoque une série d’évènements qui ont jalonné son parcours. J’ai dès lors choisi de dédoubler Tristan. Il y aura un Tristan qui parle – le comédien belge Thierry Hellin, l’un des meilleurs de sa génération –, et il y aura un Tristan chanteur, interprété par Michaël Weinius.
Pourquoi ce choix?
Parce qu’à l’époque où il compose cet opéra, Wagner est encore totalement imprégné de l’idée nietzschéenne de l’éternel retour, c’est-à-dire du temps qui se mord la queue et non celui qui s’étirerait vers l’avant. Au départ de cette idée, j’ai construit un spectacle dans lequel les deux temps se mélangent.
L’interview complète par Stéphane Renard se trouve sur le site de l’Echo
Critique de « Tristan und Isolde » à l’ORW: mer étale, philtre létal
À la barre, le chef d’orchestre Giampaolo Bisanti s’attèle à la tâche avec une maîtrise parfaite. Chapeau bas aussi au quatuor en charge des décors, de l’éclairage, des costumes et des vidéos, pour l’ambiance sobre, douce, léchée, presque figée des paysages marins ou boisés, énigmatiques comme des peintures de Delvaux.
À la mise en scène, le Français Jean-Claude Berutti, qui est également romancier, a sans doute beaucoup lu Thomas Mann: l’ouverture donne à voir un tableau qu’on jurerait extrait de «Mort à Venise». Sur une plage à marée basse, face à la houle, assis dans une chaise roulante et canotier en main, un double de Tristan impose sa silhouette désespérée. Ce «Gustav von Aschenbach» muet (l’acteur belge Thierry Hellin), omniprésent, narre à sa façon le passé hautement autodestructeur du héros. L’opéra entier s’apparente ainsi à un monumental flashback que Tristan, rembobinant la triste aventure de sa vie, revisite avant de périr.
Critique de Valérie Colin sur le site de L’Echo.
Crescendo-magazine
A l’Opéra de Wallonie-Liège, un « Tristan und Isolde » à la très belle lisibilité musicale et scénique
Mais la musique, sa musique, transcende tout cela pour le porter à un incroyable degré d’incandescence. Ce n’est pas le lieu ici d’une analyse musicale qui montrerait comment tous les moyens de l’expression musicale sont revisités pour multiplier ce qui est raconté, ce qui est vécu. Dans le flux continu d’une partition, dans les récurrences des leitmotive, dans les étagements orchestraux, dans les interventions instrumentales solistes (ah ! la clarinette basse ! ah ! le cor anglais !). L’Orchestre de l’Opéra de Wallonie-Liège en a été un interprète vraiment inspiré sous la baguette d’un Giampaolo Bisanti exactement wagnérien. Oui, quelle remarquable lisibilité musicale.
Quant aux solistes, ils ont nourri leurs airs exigeants (et quelles exigences) de leurs « intonations-appropriations personnelles », conjuguant puissance et nuance, densité et intensité. Michael Weinius-Tristan et Lianna Haroutounian-Isolde « sont » leurs personnages dans les éclats ou les retenues de leurs voix, dans leurs duos, dans leurs monologues désespérés ou emportés. Violeta Urmana-Brangäne est « la suivante de la tragédie », celle qui, voulant venir en aide, précipite en fait le cours du destin. Evgeny Stavinsky-Der König Marke exprime toute la déception, toute la douleur incommensurable et toute la grandeur du roi trahi. Quant à Birger Radde, il confère à son Kurwenal une présence vocale et scénique particulière. Il l’impose. Alexander Marev-Melot, Zwakele Tshabalala-jeune marin-berger et Bernard Aty Monga Ngoy-un timonier, complètent avec bonheur l’éventail vocal.
La critique complète de Stéphane Gilbert sur le site de Crescendo-magazine.
Concertclassic
Tristan et Isolde à l’Opéra Royal de Wallonie/Liège – Éclosion d’une soprano wagnérienne – Compte rendu
La scène liégeoise n’est pas particulièrement connue pour un avant-gardisme susceptible de vider les salles. On y a donc fait le choix d’un metteur en scène cultivé, dont la principale ambition est de plaire. Jean-Claude Berutti ouvre Tristan là où le héros de Mort à Venise achève son existence : sur une plage abandonnée, assis dans un fauteuil roulant, coiffé d’un chapeau blanc, avec une immense plaie à l’âme. Les belles projections vidéo, conçues par Rudy Sabounghi et réalisées par Julien Soulier, montrent au premier acte toutes les variations de l’océan, du grain qui pointe à la lumière qui vient, tandis que des voiles de bateau rythment le passage de l’intime à l’espace public.
On se retrouve ici dans les années 1850, époque de la genèse de Tristan und Isolde. Les deux protagonistes portent les costumes bourgeois du temps de Mathilde Wesendonck. Mais cette atmosphère romantique ne dure pas : tout est vu à travers un Tristan à l’asile, enfermé, malade, en proie à ses démons intérieurs.
La critique compète de Vincent Borel sur le site de Concertclassic.
Olyrix
Tristan agonisant se dédouble à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège
Grand soprano lyrique excellant dans le répertoire italien, Lianna Haroutounian aborde le répertoire wagnérien pour la première fois. Dans cette salle de l’Opéra de Liège, chaleureuse et à dimension humaine, elle réussit pleinement son pari notamment au 1er acte où sa voix large et puissante aux aigus affirmés trouve toute sa place. Plus intensément dramatique, elle surveille plus attentivement sa ligne de chant à l’acte suivant, sensible à la nuance et aux raffinements, tout en restant sur une certaine réserve qui devrait pouvoir se dissiper au profit d’une assurance nouvelle (que seule une fréquentation plus formelle de ce rôle gigantesque permettra d’acquérir).
Michael Weinius est pour sa part un habitué du rôle de Tristan. Son chant probe et d’une certaine intensité -mais pas toujours d’une pleine justesse- lui permet de parvenir au 3ème acte sans réellement d’accrocs, même si la séduction et le sentiment amoureux pourraient se renforcer. La basse Evgeny Stavinsky campe un Roi Marke de grande noblesse et réservé, comme un peu extérieur au drame qui se joue. Mais la voix est fort belle et son long récit apparaît maîtrisé. Hier remarquable interprète du rôle d’Isolde, Violeta Urmana toujours aussi intensément vibrante en scène, fait entendre une voix désormais avec un aigu devenu difficile et un vibrato fort accentué. Les appels de Brangäne au 2ème acte souffrent malheureusement de ces caractéristiques.
La critique complète de José Pons sur le site d’Olyrix
Classica
Tristan et Isolde à Liège : le mort se rappelait tout
Quant à la distribution, elle est très inégale, pour le moins. Le Tristan de Michael Weinius (qui tenait le rôle à Bastille en 2023) est désespérément prosaïque, le Marke d’Evgeny Stavinsky, Ondin de Roussalka ici même l’an dernier, manque terriblement d’émotion, mais le Kurwenal de Birger Radde est d’une énergie qui fait plaisir à voir et à entendre. Les appels de Brangaene mettent cruellement à nu le large vibrato de Violeta Urmana. Quant à Lianna Haroutounian, qui s’est jusqu’ici surtout illustrée dans le répertoire verdien et puccinien, mais qui entame un net virage vers l’opéra allemand, elle accomplit une fort intéressante prise de rôle, et l’on espère que l’appropriation progressive du rôle lui permettra de s’y épanouir avec encore plus de nuances.
La critique complète de Laurent Bury sur le site de Classica.
Diapason
À l’Opéra de Liège, retour gagnant pour Tristan et Isolde
Privilégiant la vérité de l’instant à la patiente élaboration du discours, Giampaolo Bisanti joue des ruptures, modèle à l’envi ses tempos, mais peine à installer la grande poussée dramatique censée enfler jusqu’à la mort d’Isolde : sans fard, son Tristan se donne trop immédiatement – l’accès en est facilité, mais l’impact émotionnel émoussé. En outre, le travail pointilleux réalisé sur la partition conduit le chef à en grossir certains traits, épousant une vision parfois à la loupe, moins atmosphérique que naturaliste (ces clarinettes qui glougloutent pour imiter la fontaine au début du deuxième acte !), et qui délaisse en partie les demi-teintes cultivées par la tradition.
Sans solliciter l’œuvre dans toute son épaisseur métaphysique, la direction de Giampaolo Bisanti se montre néanmoins d’un lyrisme intense, capable de concentrer les énergies derrière les imprécations d’Isolde à l’acte I, comme de susciter cette expectative indispensable à l’immense duo du II. Ce soir, le maestro n’apparaît peut-être pas en wagnérien confirmé, mais assurément en grand chef d’opéra. De même, peu familière de ce répertoire, la phalange lyrique enchante plutôt par un engagement à tout rompre dans les tuttis que par ses timbres – pas toujours réjouissants et peu fondus – ou ses attaques – souvent floues. Aussi, oublions ce Prélude sans mystère, desservi en outre par une petite harmonie en deçà, au profit d’un acte II brûlant d’ardeur et de sensualité.
La critique complète d’
La Libre
Dans Wagner, Berutti veut rendre visible l’inaudible
Berutti n’en est pas à son premier Wagner, lui qui avait monté Tannhäuser à Bordeaux. L’expérience l’avait toutefois laissé insatisfait. « Quand, adolescent, j’ai découvert Tristan et Isolde, cela a été pour moi un choc esthétique majeur. J’habitais Toulon et, avec un ami, nous sommes allés voir une production à Marseille, puis une autre à Nice, avec des distributions fabuleuses. Puis, je me suis sorti l’œuvre de l’esprit, à tel point que, si on me l’avait proposée il y a quatre ou cinq ans, j’aurais dit non. Le fait que l’œuvre n’ait plus été donnée à Liège ne change rien en tant que tel, mais cela met sans doute la barre des attentes plus haut encore. »
On ne peut éviter de demander à Berutti, que l’on sait plutôt progressiste, ce que lui inspire Wagner non en tant qu’artiste mais en tant qu’homme : « Wagner est un génie polymorphe qui change d’avis comme de chemise. C’est un être exalté absolument paradoxal mais, dans la recherche esthétique, il n’est pas paradoxal, il est imbattable ! C’est une personnalité fougueuse, volcanique, par moments dangereuse. Mais l’antisémitisme est moins le sien que celui de sa femme Cosima, et il faut séparer son œuvre de tout ce qui s’est passé après. »
L’interview complète par Nicolas Blanmont se trouve sur le site de La Libre.
Tristan, Isolde… et encore Tristan
Marquant ses débuts dans le rôle – et même dans le répertoire wagnérien – l’Isolde de Lianna Haroutounian ne ressemble à aucune autre. La voix de la soprano arménienne a l’atout d’une clarté et même d’une lumière directement héritées de sa fréquentation intense du répertoire italien, mais avec en outre une puissance confondante dans le registre aigu. Dès le deuxième acte, elle offre sans réserve une projection impressionnante qui fera merveille dans sa scène finale, à ceci près que le médium est hélas beaucoup moins sonore, à telle enseigne que la ligne vocale semble parfois presque incomplète dans ce climax. Il y a plus d’homogénéité dans les différents registres, mais moins de puissance chez le Tristan de Michael Weinius : on admire la constance du ténor suédois, mais on regrette parfois un manque de mordant de l’articulation et un engagement trop prudent.
La critique de Nicolas Blanmont sur le site de La Libre.