Le Ring a trouvé sa cheffe !!
Par Guy Cherqui (reproduit du site Wanderer avec l’aimable autorisation de l’auteur)
En cette troisième édition, et le Festival n’a programmé que deux cycles du Ring et non trois comme habituellement, qui affichent complet, alors que trois cycles n’auraient peut-être pas garanti le remplissage. C’est dire la prudence face à une production qui en dehors de sa nature intrinsèque, n’a pas eu vraiment de chance. D’abord reportée de deux ans à cause du Covid, et puis en panne de directeur musical la première année, toujours à cause du Covid : Pietari Inkinen a dû laisser la place à Cornelius Meister qui n’eut pas le temps de reprendre la production pour lui donner ses propres couleurs. En 2023, Pietari Inkinen revient dans la fosse, mais le résultat n’est pas convaincant et en 2024, il devait laisser la place à Philippe Jordan, qui renonce et à son tour cède la place à Simone Young, par miracle de la même agence…
La relative stabilité du cast qui connaît cette année néanmoins trois nouveautés de poids (un Siegmund, une Sieglinde et un Siegfried) a permis au metteur en scène Valentin Schwarz d’asseoir son travail et même d’introduire quelques nouveautés et variations, même si fondamentalement le propos reste le même : s’inspirer du monde des séries TV, et notamment de Succession à peu près contemporaine (2018) du moment où Schwarz et son équipe préparaient la production.
Ci-dessous, les lecteurs retrouveront nos comptes rendus des années précédentes, journée par journée. Nous avons préféré cette année écrire un article global revenant sur certaines nouveautés ou certains aspects musicaux, car si la production garde ses hauts (rares) et ses bas (nombreux), elle a enfin trouvé en Simone Young un maître d’œuvre musical qui a garanti de bout en bout la meilleure édition des trois cycles, et, ce qui n’est pas un détail, accueillie par un délire d’applaudissements.
Une histoire de succession qui n’est pas neuve
Nous avons plus ou moins tous commis l’erreur de novice la première année (2022) de tenter de retrouver dans le déroulement du scénario proposé par Valentin Schwarz nos repères habituels du Ring : Nothung, l’or, l’anneau, cherchant qui fait quoi, qui est qui et où sont les objets fétiches de notre Ring habituel.
Valentin Schwarz qui est loin d’être un sot le savait, et il a joué à cache-cache avec l’histoire proposant son propre scénario et ses propres fétiches (pyramide lumineuse, casquette du petit Hagen, châle de Freia) et les faisant coller avec plus ou moins de bonheur avec l’histoire du Ring.
À la différence de la démarche d’un Castorf qui inscrit l’histoire du Ring dans un contexte historique, politique et idéologique tout en respectant de près ou de loin toutes les données de l’histoire, Valentin Schwarz écrit une histoire qui tantôt reprend, tantôt élimine des éléments prévus par Wagner. Castorf effrayait certains (les américains qui arrivaient avec des masques de sommeil pour ne pas voir) parce que Mao, Staline, Lénine et Marx dans un Ring wagnérien, c’était trop pour le salut de leur âme, une âme singulièrement oublieuse que Wagner avait écrit L’Art et la révolution, était ami de Bakounine tout en étant l’auteur de cette horrible phrase salutairement rappelée dans le Tannhäuser signé Tobias Kratzer : Frei im Wollen ! Frei im Thun ! Frei im Genießen !
D’autres ont donc préféré à Castorf-le-monstre, le pape du Regietheater honni des bons esprits, le petit Schwarz des « Grandes familles », moins dangereux pour leur âme et surtout pour l’ordre du monde, qui racontait une histoire pas trop dérangeante, un peu ironique, et empreinte de cette modernité tranquille qui ne casse aucune brique.
Je l’ai écrit souvent, au-delà de la pertinence des choix, Katharina Wagner a l’immense mérite d’explorer les possibles des mises en scènes et de ne pas s’en tenir à telle ou telle école, et de proposer à Bayreuth des styles très divers qui montrent une palette très large des chemins empruntés par les mises en scènes wagnériennes, quelquefois inattendus ou discutables, mais qu’on ne voit que sur la Colline. C’est ainsi qu’après la production hautement politique de Barrie Kosky, Die Meistersinger von Nürnberg seront confiés en 2025 à Matthias Davids, maître allemand du musical, qui en proposera sans nul doute une vision tout à fait différente. Il suffit de lire sa page Wikipedia pour voir quel est son itinéraire et quelle est la liste de ses productions pour s’en persuader.
Elle applique ainsi la leçon de son père, Wolfgang Wagner, qui après le Ring de Chéreau (aujourd’hui porté au firmament par les héritiers de ceux-là même qui avaient hurlé en 1976) avait proposé la vision hypertraditionnelle de Peter Hall, qui fut d’ailleurs un échec malgré quelques images fortes (et coûteuses).
Qu’il y ait Valentin Schwarz après Frank Castorf n’est donc pas une fausse manœuvre, c’est au contraire une idée intelligente de management artistique et Valentin Schwarz n’est pas un metteur en scène sans idées, c’est leur profusion désordonnée et leur réalisation qui fait problème le plus souvent.
L’idée de la succession n’est pas neuve : elle est déjà dans le Ring lui-même.
D’une part Wotan est obsédé par l’idée de faire naître un héros libre qui sera capable de lui reconquérir l’or. Dès Die Walküre, Wotan gère la génération suivante, c’est son obsession, et aussi son échec. Dès la première journée, Wotan a perdu. Il le sait d’ailleurs au moment de son monologue de l’acte II (Das Ende !). En sacrifiant Siegmund, il sacrifie l’héritier direct.
En transmettant à Brünnhilde l’heur d’être réveillée par Siegfried, mais surtout en la transformant en mortelle, il la fait vivre en mortelle séparée du monde des Dieux, avec un avenir de mortelle et un destin de mortelle. En fait, il n’a plus de prise sur elle et de fait, le Dieu de Walküre devient Wanderer dans Siegfried et disparaît dans Götterdämmerung. Alberich, Mime, Wotan, Fafner dans Siegfried sont des ombres de l’ancien monde qui poursuivent en vain Siegfried, porteur du nouveau monde. La phrase du Wanderer au troisième acte adressée à Siegfried, « Ich kann dich nicht halten ! » (je ne peux pas t’arrêter »), derniers mots de Wotan/Wanderer dans le Ring, montre l’étendue de l’échec du Dieu qui n’a plus de pouvoir sur l’homme.
Götterdämmerung est un passage de générations : Castorf et Schwarz (et jadis Chéreau) à Bayreuth, Tcherniakov à Berlin l’ont parfaitement montré. Ce sont d’autres individus qui affrontent l’histoire, même si la « mission » des pères est continuée. Mais on sait bien que les fils ne sont pas toujours à la hauteur des pères… C’est pourquoi les pères absents restent aussi présents : à travers Alberich qui visite Hagen (Alberich, qui restera de toute la première génération le seul survivant) au deuxième acte, mais aussi Wotan par visiteuse interposée, par Waltraute qui visite Brünnhilde à la fin du premier acte. Waltraute n’est pas missionnée par Wotan, mais elle en endosse les habits, elle prend l’initiative, l’ultime qui va essayer de sauver le sauvable et de ramener les mortels qui vivent leur vie aux vraies valeurs des Dieux… Et Castorf montrait dans Götterdämmerung en vidéo un Wotan qui surveillait encore tout, comme s’il était encore le maître des horloges. Ce n’est pas un hasard si Wagner a mis en écho Waltraute et Alberich, les visiteurs du soir, qui viennent ou essayer de bousculer ce qui se trame, ou s’assurer que les mortels leur obéissent encore…
Les vieux ont encore soif…
Donc Wagner est parfaitement clair : Götterdämmerung, c’est une deuxième génération, chargée d’en finir, mais aussi chargée en quelque sorte d’un avenir… On a beaucoup glosé sur le Ring comme histoire cyclique : ces visions d’hommes regardant l’avenir à la fin (Chéreau), cette Gutrune seule et désespérée accueillie par le groupe comme dans une renaissance (Kriegenburg à Munich), cette Brünnhilde isolée, mais souriante, qui efface le centre de recherches, refuse l’aide d’Erda et va vivre seule sa vie (Tcherniakov à Berlin): tout appelle à un futur.
Lorsque l’enfant paraît
L’idée de Schwarz qui travaille sur « Les héritiers » n’est donc pas neuve.
Sa fin à lui ? elle est à degrés
- Brünnhilde meurt entre ses deux amours, Grane et Siegfried
- Wotan est pendu au milieu du Walhalla figuré par des dizaines de néons…
Mais
- La « jeune Erda » assiste à tout le final
- L’enfant de Siegfried élimine les filles du Rhin et s’en va vers un avenir…
Dans Rheingold, nous avions tous identifié le petit enfant à la casquette et au sweet-shirt jaune comme l’Or, enlevé par Alberich par un besoin de progéniture. Et de loin en loin l’enfant devient dans Siegfried le jeune Hagen et dans Götterdämmerung Hagen mûr encore identifiable par le sweet-shirt jaune.
On passe sous silence le fait qu’Hagen parle de sa mère et de son ressentiment envers son père (chez Schwarz, il n’y a guère que des pères ou des pères de substitution) pour accepter qu’Hagen soit l’enfant enlevé à Wotan qui élève des successeurs/successeuses dans un jardin d’enfants tenu par les Filles du Rhin… ce qui laisserait supposer qu’Hagen est un fils de Wotan.
Chez Schwarz, tout est affaire de famille : Wotan et Alberich sont frères jumeaux qui se sont battus déjà dans le ventre maternel, où Wotan a perdu son œil…(vidéo initiale du prélude de Rheingold) Alberich enlève en quelque sorte son neveu (si l’on accepte que Wotan ait une ribambelle de gamins/gamines, dont le seul jeu est dessiner des masques de papa, à moins que ces enfants aient été eux aussi enlevés par Wotan, qui sait ?). En fait Alberich prend le plus sale gosse, celui qui joue à la mitraillette et qui terrorise les petites filles en robe rose. Il prend le plus méchant pour s’assurer une descendance-ressemblance.
Alberich est le frère déshérité de la famille, l’oncle-dont-on-ne parle-pas, (on ne sait ni pourquoi ni comment d’ailleurs) le raté, mais il tient le gosse entre ses mains. Terrible perspective.
Alors, Schwarz, insatisfait des solutions wagnériennes, imagine lors de l’histoire des géants qui récupèrent l’or-enfant une substitution. Wotan pour garder le petit enfant au sweet-shirt jaune donne le change avec une petite fille, mais le piège est déjoué, et les géants se reprennent le petit en jaune. Pendant que la petite fille (que tout le monde des spectateurs a cru être la future Brünnhilde – fatale erreur- ) est prise est emmenée par Erda.
Si nous avions eu ne serait-ce qu’un peu de jugeotte, nous aurions compris que l’Or, c’est l’enfant « en soi », le petit en jaune pour Wotan, Alberich, les géants, mais l’or est une catégorie, la catégorie « enfant ». Pour Erda pr exemple qui dans son état d’éternité dormante, avait aussi besoin d’une suite, l’or, c’est la petite fille qui reste, qui va devenir l’aide à domicile de la vieille déesse, si bien que dans Siegfried, Wotan va la confondre avec sa « mère » au début du troisième acte.
Erda repartie dans ses profondeurs dans Siegfried pour ne plus réapparaître, la « jeune Erda » réapparaîtra dans la piscine abandonnée du troisième acte de Götterdämmerung, signe que tout est prêt pour une future histoire, la même sans doute. L’or, ce n’est pas UN enfant, mais TOUT ce qui est enfant dans cette mise en scène.
D’où la vision des deux jumeaux Siegmund et Sieglinde enfants jouant dans l’appartement familial à la fin du premier acte de Walküre, d’où aussi une Brünnhilde-mère, flanquée de progéniture, dans le même appartement quand Gunther/Siegfried vient l’enlever, une progéniture qu’on va avoir dans les pattes au deuxième acte, errant entre Hagen (qui a l’air de bien l’aimer), Siegfried (qui a l’air de bien l’aimer aussi) et Brünnhilde, qui n’a plus l’air d’y faire cas. Une progéniture qui est une petite fille (la première année on croyait que c’était un petit garçon) …
Bref, ce Ring, c’est un hommage à André Roussin, Lorsque l’enfant paraît…
Les éléments passables
La conséquence de ces choix quelquefois clairs et aussi quelquefois erratiques, ce sont des moments où la dramaturgie wagnérienne impose en quelque sorte sa loi, comme le premier acte de Walküre, à peu près conforme à l’histoire, à part Nothung qu’on va chercher dans le socle de la fatale pyramide lumineuse qui traînait, symbole de la famille, et qui se révèle être un revolver. Il y a d’ailleurs, nous l’avions noté, un usage déraisonnable du revolver dans ce Ring.
Mais si Wagner impose sa loi, Schwarz y met un grain de sable qui déconstruit la logique de l’histoire Sieglinde est déjà enceinte de Hunding, Siegmund n’est donc pas le père de Siegfried, il le « reconnaîtra » au deuxième acte, père putatif et spirituel, mais Siegfried est le fils de ce malheureux Hunding policier privé rémunéré par la famille Wotan qui est humilié et malmené par Fricka (celle qui lui surcharge son café de sucre au deuxième acte malgré ses dénégations).
Sans doute est-ce pour Schwarz une manière d’expliquer ou de justifier que son Siegfried de Götterdämmerung qui ne boit pas de philtre d’oubli, n’est pas un gentil, ce que d’ailleurs au premier acte nous avions perçu : le couple Brünnhilde-Siegfried ne se sépare pas dans les meilleurs termes et Siegfried a simplement envie de f.. le camp.
Les actes I et II de Siegfried ne sont pas non plus les pires de l’ensemble de cette construction. L’acte I reste assez conforme à la tradition, et même l’installation de Mime et Siegfried dans l’ancienne maison de Hunding peut se justifier, on l’a vue dans d’autres mises en scène, et un Mime apprenant à Siegfried par des marionnettes et un théâtre ad-hoc l’histoire de la famille n’est pas une vilaine idée.
De même le deuxième acte, où Fafner est vu comme l’oncle à héritage que tous vont visiter sur son lit médicalisé, veillé par « le jeune Hagen » (sweet-shirt jaune), les uns avec un pauvre bouquet (Alberich), les autres avec un immense amas de fleurs (Wotan), les deux se retrouvant avec les mêmes intérêts devant la cheminée comme ces vieux ennemis séparés par la vie qu’on retrouve au chevet du vieil oncle mourant : tout cela n’est pas mal vu.
La fin de Fafner pris par une attaque cardiaque devant un Siegfried sans foi ni grande loi, et le jeu de l’oiseau devenu une jeune fille, on l’a vu dans d’autres mises en scène. Ce qui est neuf, c’est que Siegfried est alors suivi comme son ombre par le jeune Hagen, visiblement fasciné, ils sont tous deux des fils, et dans le scénario de Schwarz Siegfried est fils de Hunding, une ascendance qui vaut celle d’Alberich, le beau-père qui a éduqué le petit en jaune à tuer.
Ils se retrouvent donc sur le cadavre de Fafner et nouveauté 2024, au moment où Siegfried entend l’appel de l’oiseau, le jeune Hagen apporte une échelle et tous deux traversent le tableau central qui représente un père et un fils : l’intention est claire : ils vont chacun tuer le père, en déchirant ce tableau et « passant derrière » en quelque sorte. Ce qui veut dire qu’il y a entre les deux la même « fraternité » qu’entre Alberich et Wotan, qui semble ici plutôt commencer dans l’harmonie… Mais Siegfried qui au moment du réveil de Brünnhilde rejetait brutalement les années précédentes cet Hagen ombre portée, cette fois-ci, ne s’occupe plus de lui et Hagen devant ce Siegfried fasciné par Brünnhilde et intéressé par bien autre chose n’a plus qu’à partir, seul, et sans doute plein de cette rancœur qui devrait expliquer son attitude dans Götterdämmerung. Encore une fois un « frère » abandonné… Ah, les familles…
Justement, Brünnhilde à l’étrange réveil dans Siegfried (une des scènes les plus ratées du Ring de Schwarz) s’était (presque) endormie traditionnellement dans Walküre, dans une des scènes les plus acceptables de l’entreprise.
Presque toutes les mises en scène (Castorf compris) font du final de Walküre un point d’orgue spectaculaire (c’est l‘image fétiche du Ring de Chéreau). C’est un des grands « attendus » d’une Tétralogie.
Ici Schwarz s’emploie à tuer l’imaginaire.
Dans ce troisième acte de Walküre, les Walkyries gardent leur immortalité par chirurgie esthétique, Grane est un majordome fidèle de Brünnhilde ; il accompagne Sieglinde et porte le bébé Siegfried déjà né (Wotan s’en était assuré avec une rude curiosité au deuxième acte après la fameuse scène où Sieglinde désespérée essayait à coups d’aiguilles à tricoter d’en finir avec le bébé) sans doute avant terme vu les soubresauts de cette grossesse.
Le duo Wotan-Brünnhilde est un moment de relatif retour à la « norme » et Grane et Brünnhilde s’éloignent vers une pyramide rocher qu’on pense voir s’embraser au lointain. Que nenni, un mur tombe montrant la séparation définitive avec un Wotan désespéré qui se roule par terre de douleur (il paraît que ça donne à Wotan une humanité déchirante…), mais arrive Fricka, avec une table roulante, du champagne et une bougie qui veut fêter ça avec le mari…
Wotan se relève, jette sa bague (alliance ?) dans le verre à champagne (on a compris seulement en 2023… tellement c’est peu clair), puis ramasse par terre le chapeau de Brünnhilde laissé là et s’en va, comme une annonce (le chapeau…) de l’épisode du Wanderer qui va suivre, laissant sur la scène la bougie, simple rappel ironique du feu qui entoure Brünnhilde…
La scène n’est pas mal faite, mais une fois encore, que de détails rajoutés pas toujours visibles de loin et que de petits faits vrais en sus pour rattraper une logique qui échappe…
Dernière « conformité », dans Götterdämmerung cette fois, la vision des Gibichungen, sorte de grands bourgeois revenus s’installer chez les Wotan, mais transformant la maisonnée où trône un portrait de la famille à la chasse au zèbre en Afrique, et où désormais les trophées de chasse emballés vont remplacer l’ameublement originel, avec une Gutrune ravissante idiote et un Gunther bête de salon superficielle et maniérée. Là nous sommes à peu près dans la tradition.
Des idées semées çà et là, des détails qui chargent l’histoire sans jamais lui donner d’armature, pour finir par créer une béance entre ce qui dit la scène et ce que dit la musique.
Les points discutables voire impossibles
Nous avons évoqué la chevauchée des Walkyries, où elles sortent toutes des bistouris d’un chirurgien esthétique, mais cette chevauchée fait mieux apparaître Grane, personnage muet mais sans cesse présent au troisième acte de Siegfried et au premier acte de Götterdämmerung.
Ce n’est plus la fidèle monture, c’est le fidèle majordome (Joué par Igor Schwab à la longue chevelure – enfin la longue crinière), qui accompagne et protège Brünnhilde, à un moment même rival de Siegfried puisque Schwarz montre Brünnhilde tiraillée au sens propre entre l’un et l’autre dans les hésitations du duo du troisième acte de Siegfried, du genre « entre les deux mon cœur balance », un duo qui comme chacun devrait savoir, n’est vraiment pas un duo d’amour.
Ce Grane va accompagner Siegfried dans son voyage sur le Rhin vers les Gibichungen, même s’il n’est pas très content de laisser Brünnhilde et la progéniture dans leur appartement. Et arrivé chez les Gibichungen, il est entrainé vers les communs avec les bagages et revient bientôt sous forme de cadavre sanglant sur un chariot à bagages : son compte a été réglé. Mieux vaut un Siegfried seul que trop accompagné… Les Gibichungen sont de tristes sires.
On revoit Grane à la dernière scène, ou du moins sa tête, portée dans un sac plastique par Gunther, qui la jette au fond de la piscine auprès du cadavre de Siegfried, et Brünnhilde la sortira au moment final pour s’endormir définitivement entre le cadavre de Siegfried et la tête de Grane. On se souvient les années précédentes d’une sorte de danse de Salomé avec la tête, une danse qui cette fois est réduite à un vague mouvement.
Le réveil de Brünnhilde au troisième acte de Siegfried est , nous l’avons dit, un des moments les moins réussis de tout le Ring, sans poésie, sans grandeur, avec un jeu de mouvements sans grand sens et plutôt d’un ennui mortel, que Schwarz essaie de remplir par la rivalité avec Grane, et par une Brünnhilde déjà réveillée avant le réveil, sortie d’une pyramide qui doit être une salle de chirurgie esthétique, comme ses sœurs, car pour se présenter à Siegfried, il faut se faire belle… c’est risible, sinon pitoyable.
Le plus problématique de l’ensemble du Ring est peut-être un deuxième acte de Götterdämmerung où les compagnons de Hagen jouent avec les masques de Wotan (ceux que s’obstinent à dessiner les enfants depuis Rheingold, et dont le modèle trône sur le programme de salle), où la progéniture de Brünnhilde et Siegfried portant son jouet favori et fétiche depuis les petits jumeaux de Walküre (un petit cheval) erre et où il ne se passe à peu près rien d’intéressant, sinon en arrière fond la noce de Siegfried et Gutrune, et en image finale l’étreinte amoureuse et tendre de Siegfried et de son épousée, la version Vogt d’une scène qui l’an dernier était chevauchement sauvage (quel changement !) d’un Siegfried version Schager.
Le troisième acte montre en principe la piscine où évoluaient les filles du Rhin de Rheingold devenue une sorte de dépotoir, peut-être transformée en réservoir, parce que dans Rheingold c’était une pataugeoire, mais cela ne change pas grand-chose… Cette piscine abandonnée est un vague rappel du barrage rouillé de Chéreau, d’un monde arrêté et vidé de sens.
Siegfried, pèche avec sa progéniture (sa fille ?), les filles du Rhin ont vieilli, elles sont mal en point, éclopées : il est vrai que dans ce monde sans dieux immortels tout le monde vieillit et elles ne sont visiblement pas passées par la chirurgie esthétique. On comprend qu’il n’ait pas envie de leur confier l’enfant… d’ailleurs, elles l’emmèneront mais l’enfant les plantera là et elles tomberont, mortes (?), pendant que la gamine fuira vers un ailleurs sans doute azuréen.
Toute cette fin reste maladroite malgré des changements de détail : si Brünnhilde s’asperge d’essence, elle allume un brasier qui ne sert à rien, sinon à faire feu, nous avons vu aussi qu’elle ne danse plus avec la tête, mais elle est toujours obligée de sortir de scène pour passer du niveau haut et rentrer dans le fond de la piscine (l’échelle est trop raide…) et puis il y a là la « jeune Erda » qui assiste à tout mais ne fait rien, nouveau témoin muet des erreurs et fatalités humaines…
Tout le monde a l’air mort, en haut, mais les compagnons se réveillent, se lèvent et partent. Pourquoi ? on le saura au prochain Ring de Valentin Schwarz,
Tout le monde a l’air mort, mais Hagen, pendant la marche funèbre, se souvient de ce Siegfried qu’il a un jour peut-être un peu aimé et recouvre son cadavre avec sa veste… (C’est beau comme du Racine…) il va remonter « à l’étage » et va s’allonger et se réveillera un instant pour la réplique où il veut l’anneau « Zurück vom Ring ! » comme une dernière éructation avant la nuit définitive.
En somme, une accumulation de détails, de mouvements toujours peu lisibles, sans grand intérêt, sans grandeur et surtout sans logique.
Schwarz est incapable de créer une image tant soit peu grandiose ou tant soit peu émouvante qui corresponde à la musique, il est toujours (volontairement ?) en porte à faux, imposant au spectateur au mieux des frustrations au pire des interrogations sans vraiment résoudre les questions qu’il pose lui-même. On comprend qu’il évoque un futur, on comprend que le temps est aux enfants, on comprend même que tous sont morts (Wotan se pend), mais rien n’est dit d’Alberich parti on ne sait où. Le sentiment reste celui de difficultés non résolues, d’un chemin à la logique non dénouée, de solutions insatisfaisantes où les changements intervenus sont superficiels, portent sur des détails non signifiants, mais ne portent pas sur les ambiguïtés de l’ensemble.
Pour le reste, si certains ont applaudi à la direction d’acteurs, elle reste pour moi assez sommaire, notamment dans Rheingold ou dans Die Walküre où elle mériterait d’être plus détaillée à cause du « théâtre de conversation » de certaines scènes.
La troisième vision de ce Ring ne fait que confirmer les visions précédentes : une idée respectable au départ, mais menée difficilement à terme, avec certes des moments forts et quelques images marquantes ‑même si pas inoubliables‑, notamment dans Walküre, mais surtout avec des solutions grossières, des ambiguïtés non levées, des contradictions qui aplatissent les problématiques multiples soulevées par l’œuvre, les rendent fades et sans intérêt et finissent par générer l’ennui à certains moments, notamment quand les chanteurs sont incapables de prendre le relais et porter l’œuvre dans sa densité (Wotan-Konieczny par exemple).
On observe souvent à Bayreuth une accoutumance, un Ring hué la première année est acclamé la dernière, ce fut le cas de Castorf par exemple, et évidemment de Chéreau. Ici à la troisième vision, les huées envers le metteur en scène venu saluer avec son équipe sont toujours aussi vives. C’est pour moi l’indice de quelque chose de très évident : Castorf, Chéreau, Kupfer, Flimm et d’autres étaient de grands metteurs en scène. Peut-être Valentin Schwarz ne joue-t-il pas dans la même cour…
Mais cette année, heureusement, il y a une fosse, et une cheffe qui donne à la musique la densité qui lui manquait l’an dernier, et surtout qui fait émerger encore plus cruellement la vacuité scénique et ses solutions bric-broc.
Et arriva Simone Young
Je me sens d’autant plus libre d’écrire le bien que je pense de l’approche musicale de Simone Young que je n’ai jamais été fasciné par les interprétations de cette cheffe que je connais depuis des années.
Le premier point à souligner c’est que d’emblée elle prend la mesure de la fosse, des équilibres sonores, des particularités et donc jamais elle n’est prise en défaut de volume, mais que jamais non plus elle couvre le plateau. Le son est plein, charnu, détaillé, avec une vraie densité, mais aussi une véritable limpidité si bien que rien n’échappe des détails à l’oreille du spectateur. Certes, elle fut à Bayreuth l’assistante de Barenboim et donc connaît les lieux et surtout les particularités de la fosse, mais il y a toujours loin de la coupe aux lèvres.
C’est tout le mérite de Katharina Wagner d’avoir banalisé en quelques années la présence de cheffes dans la fosse de Bayreuth, mais surtout de leur avoir permis de remporter des succès, des triomphes incontestables, quand on pense à Oksana Lyniv, désormais habituée ici, mais surtout à Nathalie Stutzmann pour Tannhäuser et Simone Young première femme à diriger le Ring à Bayreuth et qui de jour en jour a remporté un succès toujours plus éclatant. Une fois de plus Bayreuth se montre aux avant-postes de l’avenir de la musique.
Simone Young a apporté cohérence, stabilité, couleur et sens dramatique à une fosse qui en avait besoin : elle a surtout permis à la fosse de reconquérir une vraie présence qui accompagne et soutient les chanteurs, qui respecte le texte, qui scande les moments dramatiques. Simone Young sait diriger de manière chambriste certains moments, sait imposer un orchestre épique à d’autres, sans ruptures, avec une belle fluidité et tenant compte de ce qui se passe sur scène, sans jamais, au contraire d’un Janowski avec Castorf diriger en autiste, fermant les yeux sur les rythmes imposés par la scène, ou sans jamais comme un Inkinen abdiquer la couleur, le caractère, faisant de la ligne générale un trajet neutre et sans réels sommets.
Il y a donc du théâtre dans ce travail et on le remarque dès Rheingold. D’abord, on sent une musique déjà dirigée plusieurs fois à Vienne ou ailleurs, on sent une volonté de cohésion, de ne valoriser les détails que lorsqu’ils ont une valeur dramatique forte, suivant les volutes de la conversation qu’est l’essentiel de Rheingold, mais garantissant aussi le crescendo initial du prélude, bien maîtrisé, et les vastes arcs que sont la descente au Nibelheim et la remontée.
Dans Walküre Simone Young se montre soucieuse de coller à la dramaturgie : son accompagnement du deuxième acte est un modèle du genre, suivant pas à pas les mots, mais n’étouffant en rien le drame (scène finale), et n’abdiquant jamais la respiration ni le lyrisme, dans un premier acte vibrant et somptueux. De même les adieux de Wotan sont-ils un des grands moments musicaux, plein de couleurs, et aussi de tension mélancolique. Sans parler de la maîtrise absolue montrée dans la Chevauchée. Du métier, de la solidité, de la musique enfin.
Dans Siegfried, elle reste très attentive au chant de ce Siegfried tout neuf qu’est Klaus-Florian Vogt, soignant les aspects lyriques ou chambristes (les murmures de la forêt), mais aussi gardant la fosse très présente et dramatique dans le final du premier acte, ne couvrant jamais Vogt, tout en gardant à l’orchestre sa vigueur et ses couleurs, comme dans le magnifique prélude du troisième acte, tout en dynamique. On sent l’attention de la cheffe aux voix et surtout à celles qui déterminent la couleur de l’ensemble (Vogt)
Enfin, Götterdämmerung impose une vision qui reste tendue, dramatique, très soucieuse de préserver le texte et donc les voix, mais sans jamais faire de la fosse autre chose que sa part de travail, c’est-à-dire une garantie de tenue, de ligne, une maîtrise souveraine des couleurs, des moments de théâtre, avec une respiration ample et aussi (à la fin notamment, comme c’est compréhensible) un souci de spectaculaire qui n’est jamais démonstratif, mais toujours théâtral au bon sens du terme, créant l’émotion quand il le faut : la marche funèbre en est un exemple, plus forte en fosse qu’en scène. Il nous reste à souhaiter qu’à défaut de mise en scène, ce Ring ait enfin trouvé son chef, ou plutôt sa cheffe. C’est sans conteste elle qui remporte le plus grand triomphe à la fin de ce Ring, et c’est amplement mérité.
Des voix au total largement au niveau
Comme souvent à Bayreuth, chaque année apporte son lot de voix nouvelles, dans de petits ou grands rôles, qui se fondent dans l’anonymat ou émergent comme des singularités. Les arrivées notables de l’édition 2024 étaient Michael Spyres en Siegmund et Vida Miknevičiūtė en Sieglinde dans Walküre et Klaus-Florian Vogt en Siegfried (pour Siegfried et Götterdämmerung), mais d’autres chanteurs ont émergé, y compris dans des rôles considérés comme secondaires. Les distributions sont toute une alchimie dans un ensemble de chanteurs qui constituent une troupe, employés dans plusieurs opéras. Si l’un d’entre eux fait défaut, c’est l’édifice qui est à reprendre…
Les grands rôles transversaux du Ring
Considérons d’abord les rôles qui traversent la saga du Ring, les filles du Rhin, Brünnhilde, Fricka, Alberich, Mime, Fafner, Erda, Wotan, et la singularité d’un Klaus-Florian Vogt…
Les filles du Rhin
Commençons par le commencement et donc les filles du Rhin qui ouvrent le cycle et en quelque sorte le ferment et qui comme les Nornes, les Walkyries dans le Ring ou les filles fleurs dans Parsifal posent la délicate question des ensembles vocaux. Il est difficile de trouver des voix qui se conjuguent parfaitement ensemble, et les changements fréquents des solistes d’une année l’autre ne favorisent pas la recherche d’équilibre et d’homogénéité. Et la justesse de ces ensembles indique souvent la rigueur d’un casting.
Ici c’est Wellgunde qu’on remarque (Natalia Skrycka) à la belle ligne, et à la projection maîtrisée, plus que Woglinde (Evelin Novak) et Floßhilde (Marie-Henriette Reinhold) ce qui donne un ensemble qui n’est jamais fusionnel avec quelques stridences désagréables, malgré un bel engagement scénique (notamment dans Rheingold).
Fricka (puis Waltraute de Götterdämmerung)
Christa Mayer en Fricka remporte toujours un énorme succès, car elle est très aimée ici. La voix est toujours forte, le phrasé net, le volume important et elle est une Fricka qui s’impose, et qui se glisse avec efficacité dans les exigences de la mise en scène : sa scène de l’acte II de Walküre est impressionnante par la présence, les gestes, la couleur vocale, même si personnellement je préfère des Fricka actuelles un peu plus subtiles de type Annika Schlicht ou, ma préférée, Tanja Ariane Baumgartner.
Dans Waltraute (Götterdämmerung), Christa Mayer propose un personnage plus énergique, plus concerné, plus vivant que certaines dans d’autres mise en scène et c’est un moment particulièrement tendu que sa scène avec Brünnhilde : elle reçoit là encore une ovation océanique, méritée.
Fafner
Fafner est Tobias Kehrer, moins de relief dans Rheingold où c’est Fasolt qui est le rôle le plus important que dans Siegfried où il a un monologue qui le pose fortement. La mise en scène de Rheingold écrase un peu leur rôle et semble relativiser leur puissance. Le timbre sombre de Tobias Kehrer lui donne noblesse, voire élégance là où on a entendu des Fafner légèrement plus barbares, ces qualités se retrouvent dans Siegfried où il compose ce personnage de malade en fin de vie, victime d’un méchant Siegfried, où le soin à phraser ce texte si important pour la suite est particulièrement marqué. Une intervention forte qui confirme la bonne impression qu’on a de ce chanteur..
Mime
Un nouveau Mime, Ya-Chung Huang, a aussi emporté l’adhésion du public par sa présence, par la force de la voix, par le sens de la couleur vocale, si important dans ce rôle. Déjà dans Rheingold il s’impose par la construction du personnage et son côté frustré et acerbe, mais dans Siegfried, il s‘impose immédiatement comme figure, par son jeu, ses gestes, et surtout par la manière de poser la voix, jamais aux limites de la caricature comme certains Mime, mais plutôt servant un personnage inquiétant, manipulateur avec un soin tout particulier apporté à la manière de sculpter les mots, de les colorer, mais sans les grimacer. Ce Mime est à suivre parce qu’on est assez en peine à trouver des successeurs à Wolfgang Abliger Sperrhacke (qui ne chanta jamais le rôle à Bayreuth) ou à Gerhard Siegel (qui le fut dans la production Dorst). Si la tradition veut que Mime soit distribué au même chanteur dans Rheingold et Siegfried, rappelons que dans la production Chéreau, Mime était dans Rheingold Helmut Pampuch et dans Siegfried l’incroyable Heinz Zednik, tout simplement parce que Zednik était Loge dans Rheingold, un rôle posant un autre problème de distribution que nous évoquerons plus avant.
Ici Ya-Chung Huang réussit à imposer un profil singulier dans les deux rôles, et ce pourrait ‑être là une autre trouvaille de Bayreuth, car un excellent Mime, et c’en est un, n’est pas si fréquent, alliant nuances, couleurs, et puissance vocale.
Alberich
Olafur Sigurdarson est aussi une trouvaille de Bayreuth, un chanteur qui en Alberich a remporté un phénoménal succès, le timbre est chaud, la voix puissante et très expressive, le personnage très sculpté entre la sauvagerie et une certaine faiblesse voire une certaine humanité. Il n’est paradoxalement jamais un Alberich totalement sauvage, et fait sentir des côtés pitoyables. C’est justement le personnage qu’il construit qui est stimulant, et pour une fois, la mise en scène l’y aide. Il n’a pas le phrasé d’un Kränzle qui le rendrait presque élégant, il n’a pas la sauvagerie débordante d’un Zoltan Kelemen jadis avec Chéreau (regrets éternels devant celui qui reste pour moi l’Alberich d’une vie), mais c’est assurément l’un des meilleurs qui ait été vus ici, et qui incarne tellement le rôle que cette année en Kurwenal dans Tristan, il reste un peu en retrait et décevant. Oui, Olafur Sigurdarson est une véritable incarnation dans cette mise en scène, il en est presque inséparable.
Erda
Comme toujours Okka von der Damerau, habituée du lieu où elle chante depuis 2013, mais qui a conquis aussi ses palmes de chanteuse wagnérienne ailleurs, puisqu’elle fut Brünnhilde à Stuttgart ou Brangäne à Munich. Elle est Erda dans ce Ring ; l’an dernier elle était aussi la première Norne et ce timbre chaud, cette voix tendue à la ligne impeccable manque dans l’ensemble des trois Nornes cette année.
L’Erda de Nadine Weissmann chez Castorf s’imposait scéniquement en une composition exceptionnelle de maîtresse de Wotan, capiteuse et séductrice. Celle d’Okka von der Damerau est un double personnage, une nourrice faisant partie du personnel de la famille Wotan dans Rheingold, une errante vaguement clochardisée dans Siegfried, une sorte de fantôme dont on comprend la présence permanente. On reconnaît ses qualités vocales, de volume, de phrasé et d’articulation d’un texte essentiel qui a besoin de s’imposer immédiatement, la couleur d’un timbre velouté et les possibilités d’étendue du spectre vocal avec une homogénéité sans failles : une véritable leçon de chant qui en fait une des chéries du public, partout où elle chante.
Cette Erda nourrice, écœurée des manigances et atermoiements de Wotan et de cette famille dysfonctionnelle, la quitte définitivement dans Rheingold, tout en récupérant la petite fille qui devait servir de monnaie d’échange « substitutive », une petite fille qui va grandir et devenir l’aide mimétique de sa mère « adoptive » au point que Wotan la confond d’abord avec Erda dans Siegfried, dissimulant sous ses hardes une robe rose qui fut celle de la petite fille des origines… c’est cette petite fille qui va devenir la « jeune Erda » d’une suite potentielle du Ring, telle qu’on la voit dans la scène finale.
Quant à la « vraie » Erda, elle quitte la scène après sa dernière intervention auprès de Wotan, adieu au monde qu’elle ne veut/peut plus voir. Chez Tcherniakov au contraire, elle reste jusqu’au bout la divinité bienfaisante qui guide l’oiseau et qui jusqu’au bout cherche à protéger une Brünnhilde qui préfère affronter seule le monde futur.
Magnifique Okka von der Damerau, une des figures incontournables du monde wagnérien, à la carrière solide, sans bruit ni éclats médiatiques, mais qui ne cesse de rencontrer la vérité de Wagner.
Wotan
Le même phénoménal succès est remporté par Tomasz Konieczny en Wotan et Wanderer, et pourtant, je n’arrive pas à être convaincu par ce Wotan-là. Une des qualités de Wotan doit être la clarté du texte, qu’on doit sans cesse comprendre au vol, et Konieczny a la plupart du temps des difficultés à phraser, chantant tout avec une sorte d’énergie monocolore, d’où toute nuance semble absente.
Cette voix est plus adaptée au Wanderer de Siegfried, à la fois fatigué et plus sauvage qu’aux longs discours et conversations qui émaillent Walküre et Rheingold. On a entendu à Bayreuth un Wolfgang Koch qui était un modèle de nuances et d’intériorité mais qui savait aussi jouer les brutes (Rheingold), et à Berlin le miracle Michael Volle : Konieczny n’arrive pas à trouver vocalement un caractère séduisant à son Wotan. Pourtant, force est de reconnaître son total engagement dans la mise en scène où il est LE personnage le plus convaincant et le plus incarné, mais il semble que la mise en scène n’ait pas réussi à rendre bien construit vocalement ce Wotan qui est scéniquement fort. Paroles jetées ou criées, manque de ligne, manque d’accents dans un débit d’où toute nuance est absente et où tout est investi dans le volume. Ce n’est pas pour mon goût le Wotan rêvé, un peu trop ensauvagé, trop « Alberich », comme si le séjour dans le ventre maternel aux côtés d’Alberich l’avait un peu trop imprégné. Konieczny privilégie une expressivité heurtée plutôt qu’un chant maîtrisé qui fascinerait en soi, il promène un Wotan style Telramund (son meilleur rôle) qui reste pour moi discutable.
Brünnhilde
La Brünnhilde de Catherine Foster est connue depuis des années sur la Colline et elle a été les deux dernières années Brünnhilde de Walküre et de Götterdämmerung. Chantant Isolde l’an dernier et l’année précédente, elle avait laissé sa place à Daniela Kohler dans Siegfried. Elle chante cette fois les trois Brünnhilde, puisqu’Isolde est une autre interprète, et c’est évidemment plus cohérent, et plus habituel.
On connaît cette voix imposante, aux aigus triomphants, une Brünnhilde plus épique qu’intérieure, mais qui est une garantie de porter le rôle jusqu’au bout. Elle garde dans Walküre un certain lyrisme et une certaine intériorité, mais la voix connaît dans le duo final de Siegfried quelques écarts, avec quelques aigus savonnés et quelques autres métalliques et plus proches du cri, mais elle réussit à surmonter les difficultés et gratifie de public d’un final impressionnant.
Et elle reste aussi impressionnante dans Götterdämmerung, assurant jusqu’au final une prestation affirmée, aux aigus puissants, mais gardant des réserves pour un chant plus intérieur (dans la première partie de la scène finale), plus généralement, c’est peut-être dans Götterdämmerung que sa Brünnhilde est la plus brûlante, déchirante, incarnée, méritant pleinement l’ovation impressionnante qu’elle reçoit en fin de cycle… Elle reste une valeur très sûre du Bayreuth d’aujourd’hui et son expérience désormais décennale lui permet de s’adapter aux situations et notamment à divers Siegfried, assez opposés comme Schager et Vogt, avec une facilité et une souplesse à noter
Siegfried
Dire que Klaus-Florian Vogt est un Heldentenor serait mentir. Il n’en a ni la couleur ni les moyens. Et il ne chante pas Siegfried en Heldentenor. Certains le regretteront, et j’en connais qui ne supportent pas cette voix juvénile, un peu nasale, d’éternel jeune homme. Il ne peut incarner une violence trop extériorisée, mais il peut-être çà et là un jeune fou, il l’a montré en Walther dans la vision de Katharina Wagner, et il atteint en Tannhäuser une grandeur tragique. Il doit quand même avoir une sacrée confiance dans ses moyens pour avoir chanté des Tannhäuser en grande série (et le rôle est l’un des plus ardus du répertoire wagnérien) et enchaîné Siegfried, voire Parsifal remplaçant Schager épuisé.
Mais Vogt a d’abord pour lui une technique, travail sur le mot, phrasé toujours impeccable, clarté, ne poussant jamais ses moyens au-delà du possible et même préférant effacer l’obstacle en savonnant le vilain aigu. Il est clair que certains aigus de Siegfried (Acte II et III de Götterdämmerung ) sont contournés, mais paradoxalement, il réussit dans Siegfried à donner au personnage une jeunesse et une tendresse lyrique qu’on n’avait pratiquement jamais entendues. J’avais remarqué ce naturel d’un Siegfried jeune à Zurich, et il propose du personnage le même type de couleur, à l’opposé d’un Siegfried chien fou à la Schager, chantant tout avec une suprême élégance, et apparemment sans effort avec une ligne de chant impeccable et une science du souffle qui lui permet de s’économiser et d’arriver au bout pour recueillir une ovation océanique. L’acoustique de Bayreuth favorise en effet les voix qui entrent dans les détails, qui travaillent dans la nuance et n’exige jamais qu’on y chante en force. Vogt travaille sur un autre clavier que la force, jouant sur les couleurs, les nuances, la dynamique, et il s’en sort avec les honneurs, tout en n’étant pas un Heldentenor AOC, mais qui en est un aujourd’hui, à l’heure où Schager s’épuise et où on nous sort des voix américaines sans intérêt particulier du type Clay Hilley le Heldentenor US à la mode qui n’a pas jusqu’ici vraiment convaincu, parce que la voix ne suffit pas pour Wagner. Vogt n’a peut-être pas la voix d’un Siegfried, mais il a tout le reste, une technique, une intelligence qui le fait chanter avec sa tête, et tout un nuancier qui lui permet de dire impeccablement le texte : bref, il pense. Helden ou non.
Si la plupart des rôles importants traversent le Ring, d’autres restent singuliers et spécifiques à chaque journée, notamment dans Rheingold à la distribution nombreuse et Die Walküre avec le couple Siegmund/Sieglinde qui chante dans un seul opéra mais qui est tellement important dans une couleur générale de Ring, et dans Götterdämmerung à la distribution là encore nombreuse, moins dans Siegfried qui est une sorte de dernier rendez-vous de toute la « première génération » qu’on connaît depuis Rheingold.
Das Rheingold
Cinq personnages singuliers, qu’on ne reverra plus.
Fasolt
Le Fasolt de Jens-Erik Aasbø a un timbre de basse plus lyrique que celle de Tobias Kehrer, qui convient donc bien à l’amoureux qu’il est de Freia, le timbre est séduisant, la voix bien posée et projetée, et cette voix, entendue aussi dans Parsifal où il chante l’un des deux chevaliers au premier acte, réussit à se singulariser, comme l’une des mieux profilées notamment dans sa manière de dire le texte avec une vraie clarté et même une certaine élégance.
Froh
Plus maniéré et moins séduisant ce nouveau Froh, Mirko Roschkowski, qui succède à un Attilio Glaser qui nous semblait à la fois plus fluide et plus naturel. Peut-être, s’il reprend le rôle l’année prochaine s’en emparera-t-il de manière plus affirmée, mais pour l’instant il nous paraît assez pâle.
Donner
L’impression est inverse avec Nicholas Brownlee qui chante Donner et réussit à imposer un timbre suave, un phrasé supérieurement maîtrisé, un sens du texte affirmé. En quelques mots, il impose un style dans un rôle habituellement assez passe-partout. Cette voix a de réelles possibilités, nous l’avions noté à Amsterdam dans Fidelio où il chantait un Pizarro fort bien dessiné. Signe qui ne trompe pas, il sera Wotan dans la prochaine production du Ring munichois, signée Tobias Kratzer… Qu’un Donner se singularise à ce point est rare… Une excellente surprise, riche d’avenir.
Loge
À l’évidence l’un des rôles les plus délicats à distribuer, des voix légères (Norbert Ernst) mais aussi plus lourdes (Klaus-Florian Vogt) l’ont abordé, des voix de caractère (Heinz Zednik), sans qu’on réussisse à enfermer le rôle dans une couleur particulière : comme le personnage c’est en quelque sorte une voix feu follet mais qui doit avoir une qualité : l’expressivité
John Daszak est une voix solide, sans aucun doute, et il succède à Daniel Kirch assez pâle dans le rôle. Il s’impose par la puissance, par la présence vocale, par le jeu aussi, mais pas vraiment par l’expression et la couleur. Il ne nuance pas, il ne colore pas, tout est chanté d’une manière uniforme. C’est un rôle certes très polymorphe, qu’on peut aborder de mille manières, mais ici, John Daszak, très acclamé par le public, me laisse sur ma faim du côté de l’interprétation du texte, de la variété. C’est un chant solide et un peu ennuyeux. Loge doit fasciner, intriguer, étonner. Ici Loge chante, c’est tout.
Freia
Nouvelle venue dans Freia, Christina Nilsson au nom prédestiné dans Wagner fait entendre un aigu triomphant et une voix claire, dans ce personnage que la mise en scène de Schwarz nous décrit comme dépressif et suicidaire (Loge lui tend le pistolet au final de Rheingold et on l’enterre à l’acte II de Walküre). Même si elle affirme un bel aigu, il faut pour Freia une voix plus « épaisse ». La Freia la plus convaincante de ma vie de mélomane fut (dans le Rheingold de Peter Stein à Paris avec Solti) Helga Dernesch, une Sieglinde qui fut aussi l’Isolde de Karajan. Si on n’entend pas en arrière-plan cette épaisseur-là qui donne au personnage une profondeur qui va au-delà de la jeune fille tendre, on reste un peu à la superficie et c’est ici, malgré des qualités réelles et une vraie grande voix, l’impression qui domine, même si ce soprano explose un peu partout dans des rôles de spinto, Elisabeth de Tannhäuser, Aida ou Tosca. Attendons des confirmations…
Die Walküre
Les Walkyries
Il en va des Walkyries comme des Filles du Rhin ou des Nornes, comme les Filles-Fleurs ou les Maîtres dans Die Meistersinger : tout est une question d’alchimie et d’agencement, et les réussites totales sont rares. Ici, la mise en scène dans un salon d’attente de clinique de chirurgie esthétique ne sert pas non plus les ensembles, même si la disposition devrait au contraire bénéficier à un aspect qu’on ne valorise pas suffisamment, le jeu dialogué des Walkyries entre elles. Il reste que les voix ici dans l’ensemble s’amalgament de manière satisfaisante, aidées en cela par la direction musicale de Simone Young, rythmée, soucieuse de faciliter le chant d’ensemble, dominé par Christa Mayer, Schwertleite de luxe, ou Noa Beinart (Rossweisse). Mais l’ensemble reste particulièrement précis au niveau rythmique et globalement homogène.
Hunding
Georg Zeppenfeld promène son Hunding avec son aisance et son naturel habituels : il est ici un mari violent, brutal, qui contraste avec l’allure soumise qu’il va afficher au deuxième acte face à Fricka dans sa prestation muette et si parlante. Le phrasé est comme toujours impeccable, le texte d’une clarté cristalline, la voix s’impose de manière souveraine. Une leçon. Comme toujours.
Mais ce qui excitait la curiosité c’était le tout nouveau couple de jumeaux pour leurs débuts sur la Colline, Vida Miknevičiūtė et Michael Spyres. C’était là un des intérêts majeurs de cette reprise 2024 du Ring.
Sieglinde
Sans avoir un timbre chaud et séduisant, avec une voix teintée d’âpreté et un peu froide, Vida Miknevičiūtė réussit à camper une Sieglinde incandescente, incroyablement engagée scéniquement, qui crée une tension palpable dès les débuts du premier acte, et qui va emporter le public par un chant incarné, passionné, démultiplié par l’acoustique du lieu. Elle possède le texte parfaitement et en distille les couleurs et les accents : c’est une Sieglinde de toute première grandeur, qui n’a aucune difficulté à dominer l’orchestre par cette voix vibrante qui emporte l’adhésion, y compris au deuxième acte, particulièrement difficile dans la mise en scène de Valentin Schwarz, qui insiste sur la misère de la femme et sur son statut d’objet à bébé (visite de Wotan) : grande entrée au Festspielhaus.
Siegmund
Michael Spyres est entré en Wagner, on l’a entendu à Lyon dans le deuxième de Tristan, et le voilà projeté dès l’an prochain en Walther des Meistersinger sur la Colline, sous la direction de Daniele Gatti. Il aborde Siegmund, rôle fétiche s’il en fut, où l’on entendit ici des Peter Hoffmann, des Jon Vickers, des James King, des Siegfried Jerusalem, des Placido Domingo, des Johan Botha ou l’an dernier, Klaus-Florian Vogt passé cette année à Siegfried. Plus encore que Siegfried, Siegmund est un rôle qui à Bayreuth a bénéficié de chanteurs d’exception.
Son timbre de « baryténor » n’a pas la luminosité habituelle d’un Siegmund, mais ce chanteur si soucieux du texte, de la prononciation, d’une culture musicale (le belcanto) qui exige une attention de tous les instants à la couleur, propose un Siegmund déjà attentif, déjà convaincant, même si on le sent encore tendu. Nul doute que déjà la prochaine édition du Ring (à partir du 20 août) le trouvera plus détendu.
Tout le monde s’étonne de voir Michael Spyres à la culture belcantiste aborder Wagner… parce que nous avons l’habitude des catégories de chanteurs : les wagnériens, les italiens etc…
Aux temps de Wagner, quand en 1870 Die Walküre est proposée pour la première fois, les catégories sont plus floues et la plupart des chanteurs à voix se sont confrontés au Grand-Opéra français, qui doit tant au bel canto, et possèdent tous la culture qu’un Spyres a développée. Il n’y a pas de chanteurs « wagnériens » avant les opéras de Wagner, il y a des chanteurs qui se sont confrontés à un répertoire très marqué par le bel-canto, Rossini, Meyerbeer, Spontini. Un chant qui exige technique, attention au texte, souci du style et du phrasé. Tout ce qu’exige Wagner et qui n’est pas différent des répertoires de l’époque, pourvu qu’on sache les chanter.
Par sa culture éminente du chant, par la variété des répertoire abordés, Michael Spyres est parfaitement préparé à aborder Wagner, comme pouvaient l’être les grands ténors de la première moitié du XIXe qui chantaient au quotidien le répertoire de Spyres. Alors on peut discuter la couleur de la voix, tel ou tel accent, telle ou telle phrase non encore totalement maîtrisée, mais peut-on discuter la prise de rôle, convaincante, affirmée, soucieuse de tout ce qui fait le beau chant, par un chanteur qui est parmi les plus sérieux et appliqués du marché, qui ne laisse jamais rien au hasard. Enfin, il montre de quelle tradition Wagner lui-même était pétri, lui qui comme chef d’orchestre a dirigé tout le répertoire où Spyres excelle : si Wagner écrit la musique de l’avenir, celle-ci trouve aussi ses racines dans le passé, et Spyres montre qu’elles créent les conditions de l’excellence stylistique, qui n’a pas de frontières. Quand on sait chanter, on chante bien Gluck, Haendel, Bellini… et Wagner. Magnifique entrée sur la Colline.
Siegfried
Der Waldvogel
Comme souvent désormais, l’Oiseau est incarné. Il n’est plus dissimulé dans les coulisses pendant qu’un oiseau en cage chez Chéreau ou mécanique ailleurs volète autour de Siegfried. L’Oiseau peut être délicat (Kriegenburg), imposant (Castorf), ou simplement humain comme chez Tcherniakov et dans cette mise en scène de Valentin Schwarz où il est une aide-soignante un peu marginale.
Alexandra Steiner est l’Oiseau pour la troisième année, et on l’a perçue cette année toujours aussi fraiche dans son personnage mais un peu moins à l’aise vocalement que les années précédentes, plus tendue, et quelques petites scories. Rien de bien grave, et sans doute une fatigue passagère, mais elle aurait intérêt à veiller au phrasé parce qu’on ne comprend pas grand-chose de ce qu’elle chante.
Götterdämmerung
Le chœur
Disposé en carré face au chef, le chœur toujours dirigé excellemment par Eberhard Friedrich, est dans des dispositions idéales pour suivre le tempo et assurer une prestation musicale idoine. Quand on se souvient de la complexité de la mise en scène de Castorf, on se dit qu’ici c’est la simplicité qui domine dans une mise en scène qui reste l’un des moments les plus faibles de tout le Ring.
Pourtant, est-ce réel, est-ce une impression, ce chœur a l’air moins puissant et moins concerné que les autres années. On sait que son effectif a été réduit, moins pénalisé cependant que prévu à l’origine, mais dans une salle aussi sensible que Bayreuth, cela se perçoit. Il serait bon que l’on revienne à l’effectif normal, car à Bayreuth, le chœur est l’un des éléments qui fait la singularité du Festival.
Les Nornes
Il en va des Nornes comme des filles du Rhin, une seule voix défaillante peut ruiner l’effet général. J’ai plutôt apprécié Alexandra Ionis, moins Christina Nilsson, mais l’ensemble m’est apparu plutôt homogène et acceptable, même si on a entendu plus convaincant et prenant.
Gunther
Le Gunther de Michael Kupfer-Radecky est dans cette mise en scène plus un personnage, un caractère, un profil qu’une voix. Il adopte d’ailleurs sa voix et son phrasé au personnage exigé, fantasque, superficiel, sans intérêt et lâche, mais aussi rude et méchant (avec Brünnhilde à la fin de l’acte I) une sorte d’échantillon de décadence manipulé par un Hagen distancié. C’est donc plus l’apparence scénique très réussie que la performance vocale qui frappe ici, car on a entendu des Gunther plus marquants vocalement (Markus Eiche, Falk Struckmann, Franz Mazura par exemple)
Gutrune
Nouvelle venue, Gabriela Scherer s’affirme elle-aussi scéniquement. La voix est claire, les aigus intéressants, et l’effort sur la couleur notable, mais elle frappe par la manière dont elle occupe l’espace scénique, sa manière de se déplacer, de se dandiner, de jouer les coquettes. A suivre donc.
Hagen
Mika Kares a une voix de basse impressionnante, mais indifférente. La première année, le vétéran Albert Dohmen avec les moyens de son âge, était plus imposant par la manière dont il savait colorer le texte et lui donner poids et sens. C’est toujours le même problème avec Mika Kares : les moyens sont là, mais le chant est monocolore, comme si les moyens suffisaient à le poser. Le monologue final de la scène qu’il clôt par
Dünkt er euch niedrig, ihr dient ihm doch,
des Niblungen Sohn.
devrait sonner de manière sinistre, c’est un des moments les plus forts de l’œuvre. On se souvient là-dedans des Hans-Peter König, John Tomlinson ou plus loin en arrière de Karl Ridderbusch… un moment suspendu, obscur, qui fait presque frémir…
Kares le chante de manière bourrue, sans rien donner, sans rien faire ressentir. Une voix énorme qui ne dit rien…C’en est même surprenant…
Conclusion générale
En passant en revue les hauts et bas de ce Ring, on s’aperçoit que globalement les atouts musicaux sont forts et qu’il a trouvé un rythme, une couleur et des voix qui défendent largement l’œuvre, même si on peut çà et là préférer d’autres choix. Mais c’est la fosse qui permet aussi à ces voix de s’épanouir, de tenir la distance et de donner à ce Ring la couleur et la tension que la scène ne lui donne pas toujours. Simone Young a ici fait œuvre indispensable pour homogénéiser l’ensemble.
Les voix nouvelles, Michael Spyres, Vida Miknevičiūtė, Klaus-Florian Vogt pour l’essentiel ont immédiatement trouvé leur place, avec leurs singularités et montrent en même temps la ductilité d’un chant wagnérien pas si monolithique qu’on le dit. Oui, on peut chanter aujourd’hui Wagner d’une manière différente.
En regard de ces réussites, scéniquement, malgré des ajustements çà et là, le discours de l’équipe de Valentin Schwarz reste souvent confus, peu lisible et anecdotique. Il y a des journées un peu plus réussies (Actes I et III de Walküre et acte I et II de Siegfried), mais si Rheingold pose les bases sans trop bouleverser les attentes, Götterdämmerung reste le maillon faible d’une entreprise dont l’ambition semble avoir dépassé les démiurges qui ont joué avec une œuvre qui a continué de leur résister. Il reste pour moi que le Ring wagnérien est une œuvre profondément politique, idéologique voire révolutionnaire et que des Chéreau, Kupfer ou Castorf ont dit des choses mille fois plus intéressantes sur cette scène que les platitudes de Schwarz, sauce Rubik-Cube, pyramidion, ou sweet-shirt jaune.
Direction musicale : Simone Young
Mise en scène : Valentin Schwarz
Décors : Andrea Cozzi
Costumes : Andy Besuch
Dramaturgie : Konrad Kuhn
Lumières : Reinhard Traub
(Reprise 2024 : Nicol Hungsberg)
Vidéo : Luis August Krawen
Chœur du Festival de Bayreuth (Der Festspielchor)
Chef des chœurs : Eberhard Friedrich
Orchestre du Festival de Bayreuth (Das Festspielorchester)
Das Rheingold
(Vorabend)
Création à Munich, Nationaltheater, le 22 septembre 1869
Wotan : Tomasz Konieczny
Donner : Nicholas Brownlee
Froh : Mirko Roschkowski
Loge : John Daszak
Fricka : Christa Mayer
Freia : Christina Nilsson
Erda : Okka von der Damerau
Alberich : Olafur Sigurdarson
Mime : Ya-Chung Huang
Fasolt : Jens-Erik Aasbø
Fafner : Tobias Kehler
Woglinde : Evelin Novak
Wellgunde : Natalia Skrycka
Floßhilde : Marie Henriette Reinhold
Die Walküre
Erster Tag
Création à Munich, Nationaltheater, le 26 juin 1870
Siegmund : Michael Spyres
Hunding : Georg Zeppenfeld
Wotan : Tomasz Konieczny
Sieglinde : Vida Miknevičiūtė
Brünnhilde :Catherine Foster
Fricka : Christa Mayer
Gerhilde : Catharine Woodward
Ortlinde : Brit-Tone Müllertz
Waltraute : Claire Barnett-Jones
Schwertleite : Christa Mayer
Helmwige : Dorothea Herbert
Siegrune : Alexandra Ionis
Grimgerde : Marie-Henriette Reinhold
Rossweisse : Noa Beinart
Grane : Igor Schwab
Siegfried
Zweiter Tag
Création à Bayreuth, Festspielhaus, le 16 août 1876
Siegfried : Klaus-Florian Vogt
Mime : Ya-Chung Huang
Der Wanderer : Tomasz Konieczny
Alberich : Olafur Sigurdarson
Erda : Okka von der Damerau
Brünnhilde : Catherine Foster
Fafner : Tobias Kehrer
Waldvogel : Alexandra Steiner
Hagen jeune : Branko Buchberger
Grane : Igor Schwab
Götterdämmerung
Dritter Tag
Création à Bayreuth, Festspielhaus, le 17 août 1876
Siegfried : Klaus-Florian Vogt
Günther : Michael Kupfer-Radecky
Alberich : Olafur Sigurdarson
Hagen : Mika Kares
Brünnhilde : Catherine Foster
Gutrune : Gabriela Scherer
Waltraute : Christa Mayer
1.Norn : Noa Beinart
2.Norn : Alexandra Ionis
3.Norn : Christina Nilsson
Woglinde : Evelin Novak
Wellgunde : Natalia Skrycka
Floßhilde : Marie Henriette Reinhold
Grane : Igor Schwab