Peter de Caluwe, après près de 20 ans à la tête de la Monnaie, passe le flambeau de la direction générale et artistique à Christina Scheppelmann. Mais c’est ensemble qu’ils ont monté la nouvelle saison 25-26 dans un équilibre entre célébration des classiques et audace créative, dans un esprit d’inclusivité et d’engagement tout en soulignant l’importance de maintenir l’essence fédératrice de l’opéra.
La saison 2025-2026 de La Monnaie à Bruxelles promet une programmation riche et variée. Voici les opéras prévus :
- Falstaff de Giuseppe Verdi (septembre-octobre 2025)
- Ali de Grey Filastine, Walid Ben Selim & Brent Arnold (octobre-novembre 2025)
- Norma de Vincenzo Bellini (décembre 2025)
- Benvenuto Cellini d’Hector Berlioz (janvier-février 2026)
- Idomeneo, re di Creta de Wolfgang Amadeus Mozart (mars 2026)
- Medusa d’Iain Bell (mai 2026)
- Tosca de Giacomo Puccini (juin-juillet 2026)
Falstaff, une comédie lyrique en trois actes, est inspirée des œuvres de William Shakespeare, principalement The Merry Wives of Windsor et des passages de Henry IV. Cet opéra est souvent considéré comme l’une des créations les plus audacieuses et novatrices de Verdi, marquant une rupture avec le bel canto et explorant des relations nouvelles entre musique et texte. Verdi, admirateur fervent de Shakespeare, décide en 1889, après le succès de Otello, de consacrer son dernier opéra à une comédie. Il collabore avec Arrigo Boito pour simplifier l’intrigue et donner une place centrale à Sir John Falstaff, personnage à la fois grotesque et profondément humain. Chevalier vieillissant et obèse, Falstaff tente de séduire deux femmes mariées, Alice Ford et Meg Page, pour accéder à leurs richesses. Cependant, ses plans sont déjoués par les femmes, qui se moquent de lui dans une série de farces ingénieuses. La production sera dans les mains d’Alain Altinoglu, directeur musical de la Monnaie, et de Laurent Pelly, un metteur en scène régulier de la maison, connu pour son univers onirique et ses interprétations mêlant comédie légère et profondeur mélancolique. Dans des décors année 60, conçus par Barbara de Limburg, qui jouent sur des contrastes saisissants pour souligner les moments de légèreté et les instants plus sombres de l’œuvre, Pelly met en avant les tensions entre les classes sociales (très présente au Royaume-Uni), avec Falstaff incarnant un esprit libre confronté aux valeurs bourgeoises. Cette mise en scène promet d’être un mélange de poésie visuelle et de comédie intelligente, fidèle à l’esprit de Verdi et de Shakespeare. Parmi les rôles principaux : Sir John Falstaff sera Interprété par Sir Simon Keenlyside, qui débute dans ce rôle à la Monnaie, Alice Ford sera chantée par la soprano britannique Sally Matthews, une habituée de la Monnaie et Fenton sera incarné par Bogdan Volkov, qui revient dans ce rôle après ses succès au Metropolitan Opera. (Du 21 septembre au 9 octobre).
Tosca est l’un des opéras les plus joués du répertoire classique, caractérisé par une dramaturgie intense et une musique riche en émotions. L’histoire mêle amour, trahison et sacrifice dans un contexte de conflit politique à Rome. Situé en 1800, durant la conquête napoléonienne de l’Italie, l’opéra suit Floria Tosca, une chanteuse célèbre, et son amant, le peintre républicain Mario Cavaradossi. Leur amour est menacé par Scarpia, le chef de la police, qui utilise la chasse à un réfugié politique comme prétexte pour manipuler Tosca et atteindre ses désirs. Le dénouement tragique marque l’opéra comme un chef-d’œuvre d’émotion. Le metteur en scène Rafael R. Villalobos, qui revient avec une production initialement créée en 2021 y insuffle une lecture politique et religieuse, explorant la peur et l’hypocrisie morale, inspirée par des figures comme Pasolini. Dans une lecture politique et religieuse, Villalobos met l’accent sur la manière dont la peur religieuse est utilisée comme instrument de pouvoir. Tosca perd la foi et trace sa propre voie, malgré les pressions extérieures. L’univers visuel, influencé par l’esthétique baroque du Caravage joue sur des contrastes de lumière et des effets dramatiques, créant une atmosphère à la fois picturale et cinématographique. Si la nouvelle directrice compte reprendre des anciennes productions, c’est en y amenant des distributions neuves. Ainsi pour Tosca, nous aurons : Leah Hawkins (soprano américaine, première à la Monnaie) et Vanessa Goikoetxea (soprano espagnole, également à ses débuts dans ce rôle); pour Mario Cavaradossi (le peintre), Stefano La Colla (ténor italien, habitué du rôle) et Atalla Ayan (ténor brésilien), quant au Baron Scarpia se seront Lucio Gallo (baryton italien) et Aleksei Isaev (baryton russe) qui se partegeront le rôle du chef de la police. La direction musicale sera assurée par un autre nouveau venu : Jordan de Souza, chef d’orchestre canadien qui fait ses débuts à la Monnaie. (Du 17 juin au 1er juillet 2026)
Norma est un chef-d’œuvre du bel canto et l’un des opéras les plus emblématiques du répertoire lyrique. L’œuvre est particulièrement célèbre pour l’air Casta Diva, une prière d’une beauté envoûtante, symbole de l’élégance mélodique de Bellini. Le livret explore les dilemmes personnels et les conflits sociaux à travers le personnage de Norma, prêtresse gauloise, déchirée entre son amour interdit pour Pollione, un proconsul romain, et ses devoirs envers son peuple. Christophe Coppens transpose l’histoire dans un univers brutal et symbolique, un cadre architectural en béton, représentant une société en crise, au croisement de traditions anciennes et de modernité et qui permet d’accentuer les tensions identitaires et les passions contrariées. La direction musicale de cette reprise sera assurée par George Petrou, maestro d’origine grecque, connu pour son expertise dans le répertoire classique et bel cantiste. Sally Matthews, soprano britannique, qui a déjà interprété ce rôle lors de la première de cette production en 2021, reprend le rôle-titre de Norma. Pollione, le proconsul romain sera confié à Enea Scala, ténor italien et spécialiste du bel canto, Adalgisa (amante de Pollione) à Raffaella Lupinacci, une mezzo-soprano italienne en pleine ascension et le père de Norma, le druide Oroveso à Alexander Vinogradov, basse russe, qui incarnera ce rôle à nouveau après un été passé à chanter à Baden-Baden.
Benvenuto Cellini est une œuvre audacieuse et complexe d’Hector Berlioz, rarement produite en raison des exigences vocales et musicales. Il met en lumière la vie tumultueuse de Benvenuto Cellini, artiste talentueux et complexe, et explore des thèmes comme la rivalité artistique, le rôle de l’artiste dans la société et les passions humaines. C’est aussi une première pour la Monnaie. L’opéra met en lumière les défis et triomphes de l’artiste, reflétant les propres luttes de Berlioz pour faire accepter son style novateur. L’histoire se déroule pendant le carnaval de Rome. L’artiste Benvenuto Cellini est en conflit avec son rival Fieramosca pour l’amour de Teresa, fille de Giacomo Balducci, trésorier du pape Clément VII. Alors que Cellini prépare une œuvre commandée par le pape, il est contraint de jongler entre ses responsabilités artistiques, son amour pour Teresa et les intrigues de Fieramosca. Avec une ambiance carnavalesque, des décors fastueux et une orchestration riche, cette production s’annonce visuellement et musicalement somptueuse. Thaddeus Strassberger, qui débute à la Monnaie après avoir débuté à l’ORW dans La Traviata et Faust, signe à la fois les décors et la mise en scène. Son style, mêlant richesse visuelle et exploration des personnages, promet de capturer l’intensité dramatique et festive de l’œuvre. Et c’est Alain Altinoglu, directeur musical de la Monnaie, connu pour sa capacité à sublimer les œuvres complexes et orchestrales (cfr les Symphonies de Mahler), qui conduira les représentations. (Du 28 janvier au 8 février 2026).
Idomeneo, Re di Creta de Mozart est est basée sur un mythe grec ancien : de retour de la guerre de Troie, le roi Idomeneo de Crète fait naufrage. En échange de sa survie, il promet au dieu Neptune de lui sacrifier la première personne qu’il croisera. Tragiquement, cette personne s’avère être son fils, Idamante. Déchiré par le dilemme entre son serment et son amour paternel, Idomeneo traverse une lutte morale intense, jusqu’à ce qu’une intervention divine apporte une résolution inattendue. Idomeneo est l’un des premiers opéras majeurs de Mozart, composé alors qu’il n’avait que 25 ans. L’œuvre mêle habilement la tradition de l’opera seria italien et celle de la tragédie lyrique française. Avec ses personnages finement ciselés et sa musique intensément expressive, l’opéra se distingue par une orchestration riche et des passages émotionnellement captivants. Le livret traite les thèmes de la loyauté, l’amour, le devoir, le destin et les conflits entre lois divines et humaines. Les décors conçus par Anna-Sofia Kirsch, qui évoquent un univers claustrophobe et labyrinthique, symbolisent les conflits internes d’Idomeneo et les tensions entre les lois divines et humaines. Dans cet univers, le metteur en scène Calixto Bieito, connu pour ses mises en scène audacieuses et souvent provocatrices, plonge dans l’esprit tourmenté d’Idomeneo, représentant ses dilemmes moraux comme un voyage labyrinthique. Les souvenirs et les émotions du roi sont dépeints comme surgissant des profondeurs abyssales, évoquant l’influence de Neptune, le dieu de la mer. L’eau et la mer jouent un rôle central dans la mise en scène, reflétant les thèmes de sacrifice, de destin et de purification. Les éléments visuels et sonores renforcent cette connexion avec Neptune. Enrico Onofri, chef d’orchestre italien spécialisé dans les interprétations historiquement informées, fait ses débuts à la Monnaie avec cette production. Il sera entouré par le ténor américain Joshua Stewart (Idoménéo), la mezzo-soprano française Gaëlle Arquez, la soprano israélienne Shira Patchornik qui fait ses débuts à la Monnaie dans le rôle d’Ilia et Kathryn Lewek dans celui d’Elettra. (Du 10 au 28 mars).
Ali est un opéra contemporain basé sur l’histoire vraie d’Ali Abdi Omar, un jeune réfugié somalien. À l’âge de 12 ans, il entame un long et périlleux voyage depuis la Somalie jusqu’à la Belgique, où il arrive à Bruxelles-Midi à 14 ans. L’œuvre raconte ce périple poignant à travers divers pays, mettant en lumière les défis émotionnels, physiques et culturels d’un migrant. L’opéra ne se limite pas à une simple narration ; il invite le public à ressentir les émotions du voyage d’Ali à travers une musique immersive et des visuels évocateurs. L’œuvre vise à sensibiliser aux réalités complexes des migrations et à humaniser une crise souvent déshumanisée dans les discours politiques. Ricard Soler Mallol, à la fois metteur en scène et librettiste, a travaillé directement avec Ali Abdi Omar pour transcrire son histoire avec authenticité. Son travail abordera différentes thématiques comme les migrations contemporaines et leurs défis, l’enfance face aux horreurs de la guerre et de l’exil, les abus et la résilience dans un parcours de migration et l’amitié et les retrouvailles comme moteur d’espoir. La musique, composée par Grey Filastine, est interprétée en collaboration avec Brent Arnold (violoncelle) et Walid Ben Selim (voix). Le style musical est un mélange d’influences électroniques et de musiques traditionnelles, reflétant la diversité des cultures traversées par Ali. Le rôle d’Ali sera interprété par Sanele Mwelase, un contre-ténor sud-africain, la mère d’Ali et narratrice : Raphaële Green (mezzo-soprano belge) et Kamil Ben Hsaïn Lachiri assurera la narration et les rôles secondaires. ( Du 31 octobre au 8 novembre).
Medusa du compositeur britannique contemporain Iain Bell revisite le mythe antique sous une perspective féminine et contemporaine. Plutôt que de représenter Méduse uniquement comme un monstre, l’œuvre explore ses dimensions humaines, tragiques et puissantes, en faisant d’elle une figure protectrice et héroïque. L’opéra veut dépasser le mythe tel que raconté par Ovide, en se concentrant sur les injustices et les sacrifices subis par Méduse, tout en célébrant sa force et son autonomie. Médusa est réinterprétée comme une femme puissante qui accepte son sort et se sacrifie pour Danaé et Persée. Pour rappel, l’histoire antique, Méduse, victime de l’assaut de Poséidon dans le sanctuaire d’Athéna, est punie par la déesse qui transforme sa beauté en un visage terrifiant, accompagné de serpents en guise de cheveux. Les deux sœurs immortelles de Méduse la protègent, mais son destin est scellé lorsqu’elle croise le chemin du rusé Persée, qui la tuera pour offrir sa tête au roi Polydecte. En mêlant mythes grecs et thématiques universelles Medusa remet en question les interprétations traditionnelles du pouvoir et du sacrifice tout en résonnant avec les thèmes d’injustice et de vengeance. La distribution comprendra Olga Peretyatko, soprano russe virtuose dans le rôle de Médusa, Paula Murrihy, mezzo-soprano irlandaise et la grande Angela Denoke, soprano allemande seront les soeurs de Medusa, Josh Lovell, ténor canadien sera Persée, Konstantin Gorny, basse russe sera Poséidon. La direction musicale est confiée à Michiel Delanghe et la mise en scène à Lydia Steier. (Du 5 au 17 mai 2026).