© Opéra Royal de Wallonie - Liège - Photo : AnnDcs - Shutterstock

La nouvelle saison s’appuie sur une vision artistique riche en contrastes : elle conjugue la profondeur des questionnements sur l’identité et l’apparence, la volonté de renouveler le répertoire classique par des mises en scène audacieuses et des commandes de nouvelles oeuvres ainsi qu’une quête d’innovation sonore et visuelle.

Le 18 avril dernier, l’Opéra Royal de Wallonie – Lège présentait sa nouvelle saison 2025 – 2026. Que retenir de cette conférence de presse présentée conjointement par le directeur général, Stefano Pace et le directeur musical, Giampaolo Bisanti

Une vision artistique ambitieuse et collective

Le thème central de la saison — évoqué notamment dans l’intitulé « Être | Paraître » — interroge la manière dont nous définissons notre identité et comment nous sommes perçus par autrui. Il s’agit d’explorer les masques que nous portons, les rôles que nous jouons et les tensions entre l’essence profonde de l’individu et les apparences extérieures. Cette interrogation se retrouve autant sur scène, dans la représentation des personnages, que dans la scénographie qui joue avec les ombres et la lumière pour révéler des facettes cachées.

De nombreux spectacles de la saison, comme Pikovaïa dama ou Lucrezia Borgia, plongent dans des atmosphères marquées par le destin, l’obsession ou encore la lutte intérieure. On y retrouve, par exemple, des personnages en proie à des passions déchirantes ou des dilemmes existentiels, qui se reflètent dans des mises en scène où la musique, le jeu des solistes et le chœur deviennent les vecteurs d’émotions intenses et de réflexions profondes. La programmation se positionne comme un pont entre le riche héritage du répertoire et une volonté de renouvellement artistique. Les productions classiques telles que Faust, Così fan tutte, Die Fledermaus ou Otello sont revisitées avec une approche contemporaine qui met en lumière des problématiques actuelles — de l’ambition personnelle à la condition humaine — tout en conservant la profondeur originelle des œuvres. Ce choix traduit l’envie de montrer que le grand passé lyrique dialogue avec les enjeux d’aujourd’hui. Outre les œuvres du répertoire traditionnel, la saison met en lumière des projets créatifs et novateurs, comme la commande d’un nouvel opéra au compositeur belge Benoit Merbier (« Bartleby ») associée à une réinterprétation de La Voix humaine de Francis Poulenc. Ces initiatives illustrent l’engagement de la Maison pour renouveler le genre opératique et offrir des expériences qui dialoguent avec notre époque.

Les distributions et équipes artistiques nous promettent de belles retrouvailles, avec, parmi beaucoup d’autres, Jessica Pratt, Erwin Schrott, Maxim Mironov, Dmitry Korchak, Elena Galitskaya, Julie Boulianne, Jean-Louis Grinda, John Osborn, Nino Machaidze, Patrizia Ciofi, Marie Lambert-Le Bihan, Leonardo Sini, Thaddeus Strassberger, Damiano Michieletto, Anne-Catherine Gillet, Luciano Ganci, … ainsi que de nouvelles rencontres, avec notamment Roman Burdenko, Markus Werba, Kristine Opolais, Olesya Petrova, Karen Kamensek, Edward Nelson, Sieva Borzak (Premier Prix du Concours International de Direction d’Orchestre d’Opéra 2025), …

Un programme riche et éclectique

La programmation juxtapose des œuvres du répertoire classique et des créations contemporaines. On retrouve des titres historiques et emblématiques, comme :

12 > 20.09 – Faust (Charles Gounod) : Une production qui met en avant l’exploration des dualités entre être et paraître, avec des enjeux cornéliens et une réflexion sur l’identité.

10 > 23.10 – Così fan tutte (Mozart) et 19 > 31.12 – Die Fledermaus (Strauss) : Des œuvres qui témoignent d’un équilibre entre la tradition lyrique et une mise en scène résolument moderne, mise en valeur par des choix de décors et de costumes soignés.

16 > 25.11 – Il cappello di paglia di Firenze (Nino Rota) : Un opéra-bouffe qui revisite le vaudeville avec une approche à la fois humoristique et sophistiquée.

27.02 > 07.03 – Pikovaïa dama (Tchaïkovski) et 10 > 18.04Lucrezia Borgia (Donizetti) : Des œuvres qui plongent le spectateur dans des atmosphères chargées d’émotion et de complexité psychologique, en explorant des thèmes tels que le destin, l’obsession et les intrigues familiales.

13 > 21.05 – Bartleby / La Voix humaine (création contemporaine inspirée des textes de Melville et Poulenc) : Un double projet qui marque un tournant vers l’innovation, en interrogeant la solitude, l’aliénation et les rapports humains dans un contexte moderne.

19 > 27.06 – Otello (Verdi) : Un classique revisité avec une attention particulière portée aux enjeux universels de la jalousie et de la manipulation.

Découvrir un autre Nino Rota

Bien qu’il soit principalement connu pour ses musiques de film, notamment celles de Federico Fellini et Francis Ford Coppola, Nino Rota est l’auteur d’une abondante oeuvre symphonique et de 11 opéras qui témoignent de son attachement aux formes traditionnelles tout en intégrant des éléments narratifs et orchestraux inspirés de son travail pour le cinéma. Parmi ceux-ci, on retrouve Il cappello di paglia di Firenze, une farsa musicale dont le livret s’inspire de la comédie Un chapeau de paille d’Italie d’Eugène Labiche, un vaudeville datant de 1851. L’opéra est conçu comme une comédie à l’italienne, avec un rythme effréné et une mise en scène qui joue sur les portes et les déplacements rapides, typiques du vaudeville. La musique de Rota, bien que légère et humoristique, est d’une grande sophistication, mêlant influences de Mozart, Rossini et Donizetti. Contrairement aux tendances avant-gardistes de son époque, Rota privilégie une approche musicale spontanée, fluide et accessible, avec des mélodies entraînantes et une orchestration qui rappelle l’esprit léger et pétillant du bel canto.

La mise en scène de l’opéra de Rota à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège sera signée Damiano Michieletto. Michieletto imagine un univers intemporel, où des parois mobiles et des portes en continuel mouvement transforment l’espace au rythme de l’action. Ce choix scénique crée un mécanisme théâtral d’une précision horlogère, où le récit et la musique s’entremêlent avec légèreté et fluidité. L’opéra, inspiré de la comédie d’Eugène Labiche, repose sur un enchaînement rapide de quiproquos et de situations absurdes. La mise en scène accentue cette dynamique en jouant sur les déplacements constants des personnages et sur des éléments de décor qui évoluent au fil de l’intrigue.

Le troisième opéra de Benoit Mernier

Inspiré de la célèbre nouvelle Bartleby, the Scrivener d’Herman Melville, cet opéra explore des thèmes tels que l’isolement, la résistance passive et l’absurde. L’opéra suit Bartleby, un copiste énigmatique qui travaille dans un bureau de Wall Street au XIXe siècle. Peu à peu, il commence à refuser d’accomplir certaines tâches, répétant inlassablement la phrase « I would prefer not to » (« Je préférerais ne pas le faire »). Son employeur, d’abord intrigué, tente de l’aider, mais Bartleby s’enferme dans une inertie croissante, refusant toute interaction avec le monde qui l’entoure. Pour traduire l’immobilité intérieure de Bartleby face à l’agitation du monde extérieur, Benoît Mernier compse une partition riche en contrastes. La mise en scène est confiée à Vincent Boussard, qui joue sur la dialectique du plein et du creux pour accentuer la solitude du personnage. Cette création marque un tournant pour l’institution, qui souhaite renouer avec la création contemporaine et enrichir le répertoire lyrique avec des œuvres en résonance avec les préoccupations actuelles

Une histoire d’addiction et de folie

La Dame de Pique est l’un des chefs-d’œuvre du répertoire lyrique russe. L’opéra s’écarte de la nouvelle originale de Pouchkine pour renforcer les dimensions psychologiques et fantastiques de l’intrigue. L’histoire suit Hermann, un jeune officier amoureux de Lisa, qui découvre que la grand-mère de sa fiancée, la Comtesse, détient le secret des trois cartes gagnantes. Obsédé par ce secret, il tente de l’obtenir par tous les moyens, ce qui le conduit à des actes désespérés et à une fin tragique. La mise en scène de Marie Lambert-Le Bihan explore les thèmes de l’addiction et de la folie à travers une approche visuelle contemporaine, tout en respectant l’essence romantique de l’œuvre. Elle met en lumière les conflits intérieurs des personnages, notamment l’obsession destructrice de Hermann et la lutte de Lisa entre amour et devoir tout en reflétant les tensions entre les classes sociales et les valeurs aristocratiques en déclin. Les rôles principaux seront tenus par Arsen Soghomonyan, ténor arménien (Herman), Olga Maslova, soprano russe (Lisa) et Olesya Petrova, mezzo-soprano russe (La Comtesse). Giampaolo Bisanti, le directeur musical maison, dirigera l’opéra de Tchaïkovski.

C’est encore ce cher Victor Hugo qui fournit la trame du Lucrezia Borgia de Donizetti :  L’intrigue explore ses dilemmes familiaux de Lucrezia et sa tentative de protéger son fils illégitime, Gennaro, tout en faisant face à l’hostilité liée à son passé. La partition de Donizetti, riche en virtuosité vocale et intensité dramatique, magnifie les tourments et la complexité émotionnelle de ses personnages. Ce sera l’oocasion pour Jean-Louis Grinda de retrouver son ancienne maison. Sa mise en scène met en lumière la complexité morale de Lucrezia, explorant ses dilemmes entre pouvoir, rédemption et maternité, dans un contexte familial et politique tumultueux. Lucrezia Borgia sera interprétée par Jessica Pratt, Gennaro par Dmitry Korchak, Alfonso d’Este par Marko Mimica et Maffio Orsini par Julie Boulianne. Et c’est l’infatigable Giampaolo Bisanti qui dirigera l’orchestre.

Cosi fan tutte est un chef-d’œuvre intemporel, où Mozart et Da Ponte allient profondeur émotionnelle et légèreté dans une musique incroyablement raffinée.La Nnouvelle production de l’ORW se déroule dans un décor de maison de poupée des années 1960, créant un univers où la réalité et le rêve se mêlent subtilement. Le livret nous montre deux jeunes officiers, Ferrando et Guglielmo, sont convaincus que leurs fiancées, Fiordiligi et Dorabella, leur sont absolument fidèles. Leur ami cynique, Don Alfonso, pense que l’amour n’est jamais aussi constant qu’ils le croient et propose un pari pour tester la loyauté des jeunes femmes. Vincent Dujardin, un habitué des scènes de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, transforme Don Alfonso en marionnettiste, orchestrant les manipulations amoureuses. Cette approche reflète à la fois la comédie et la critique sociale inhérentes à l’œuvre. Ce sera l’occasion de découvrir Sieva Borzak, un jeune talent italo-russe primé au Concours International de Direction d’Orchestre d’Opéra en 2025. Autour de lui, ce seront Fiordiligi : Francesca Dotto, Dorabella : Jose Maria Lo Monaco, Ferrando : Maxim Mironov, Guglielmo : Vittorio Prato, Don Alfonso : Marco Filippo Romano, Despina : Lavinia Bini.

Le veau d’or est toujours debout

La nouvelle production de la Fledermaus (La Chauve-souris) de Strauss proposée en fin d’année est inspirée par l’univers flamboyant de la série télévisée Dynasty dans une mise en scène d’Olivier Lepelletier-Leeds. qui mêle glamour, élégance et extravagance. Les costumes et les décors reflètent une fête opulente, en écho aux soirées mondaines de Los Angeles. L’histoire tourne autour de Gabriel von Eisenstein, qui préfère se rendre à un bal masqué organisé par le prince Orlofsky au lieu de purger une peine de prison. Sa femme Rosalinde, ayant découvert son stratagème, se rend elle aussi au bal, déguisée, tout comme leur servante Adèle, qui prétend être une actrice. Les quiproquos et les tromperies se succèdent dans une ambiance festive et élégante, jusqu’à ce que les masques tombent dans un final réconciliateur. Dans la distribution, Gabriel von Eisenstein sera joué par Markus Werba et Rosalinde par Anne-Catherine Gillet.

Faust incarne l’âge d’or de l’opéra français du XIXᵉ siècle et reste un pilier du répertoire lyrique mondial. Il marque aussi l’apogée du talent de Gounod. Le livret simplifie la dimension philosophique du Faust de Goethe pour se concentrer sur la tragédie romantique de Marguerite et les dilemmes moraux du docteur Faust. L’opéra est connu pour des morceaux emblématiques tels que l’« Air des bijoux », le « Chœur des soldats » et la saisissante « Sérénade » de Méphistophélès. Après Traviata, cette saison et avant Benvenuto Cellini à la Monnaie, Thaddeus Strassberger, placera sa production dans une scénographie, entre un cabinet de curiosités et un musée, qui symbolise les luttes internes et la complexité morale de Faust. Les inspirations visuelles vont de l’Antiquité à la Renaissance, mettant en lumière la quête de connaissance et les luttes internes du personnage principal. Une distribution de luxe comprendra Faust : John Osborn, Méphistophélès : Erwin Schrott, Marguerite : Nino Machaidze et Valentin : Markus Werba. Et cest Giampaolo Bisanti qui dirigera cette production qui fait l’ouverture de la saison.

 

Un gala pour le fonds Jodie Devos

 

Le 28 novembre 2025 aura lieu le premier Concert de Gala du Fonds Jodie Devos, créé par ses proches en mémoire de la soprano belge tragiquement disparue en 2024. Dirigés par Guillaume Tourniaire, l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège accompagneront une pléiade de solistes de haut vol pour une soirée d’exception, dont les bénéfices iront au Fonds Jodie Devos en vue de l’accomplissement de ses missions de soutien à de jeunes artistes en voie de professionnalisation et de promotion de l’art lyrique.

BvL

La saison complète sur le site de l’ORW