© DG - Dietrich Fischer Dieskau - Complete Lieder Recordings on DG

Dietrich Fischer-Dieskau, surnommé affectueusement « Dieskau » ou « DFD », se dresse tel un monument incontournable du chant vocal du XXe siècle. En cette année 2025, nous célébrons le centenaire de sa naissance, une occasion idéale pour rendre hommage à son immense contribution à l’univers de la musique classique.

Une carrière diversifiée

Fischer-Dieskau a laissé son empreinte indélébile dans tous les genres vocaux, du lied intimiste à l’opéra grandiose, en passant par l’oratorio et la musique contemporaine. Doté d’un talent incomparable et d’un timbre unique, il a su émouvoir et inspirer de nombreux jeunes chanteurs. Son influence est souvent mise en parallèle avec celle de Maria Callas, autre légende de la musique.

Le maître du lied

Le répertoire de Fischer-Dieskau est vaste et diversifié, s’étendant de Schütz à Messiaen. Il a enregistré plus de 400 œuvres classiques, incluant des opéras emblématiques tels que Wozzeck (Berg), Doktor Faustus (Busoni) et Saint-François d’Assise (Messiaen), ainsi que des compositions de Britten, Barber et Henze.

Son travail sur le lied allemand est particulièrement remarquable. Avec une lecture magistrale des textes poétiques et une interprétation raffinée des nuances musicales, il a redonné ses lettres de noblesse à ce genre musical. De 1947, année de son premier enregistrement, jusqu’à sa retraite en 1993, il a interprété environ 3000 lieder écrits par plus d’une centaine de compositeurs. Bien que Dietrich Fischer-Dieskau soit inextricablement lié au cycle de lieder Le Voyage d’hiver de Schubert, son répertoire ne se limite pas à cette œuvre seule. Grâce à ses quelque 400 enregistrements, il a grandement participé à la diffusion d’œuvres musicales méconnues.

Collaborations prestigieuses

Tout au long de sa carrière, Fischer-Dieskau a collaboré avec des pianistes et chefs d’orchestre renommés tels que Daniel Barenboïm, Sviatoslav Richter, Alfred Brendel, Georg Solti, Wilhelm Furtwängler, Ferenc Fricsay, Herbert von Karajan, Pierre Boulez et Benjamin Britten. Mais sa plus longue collaboration fut celle avec le pianiste britannique Gerald Moore.

Une philosophie musicale unique

Dietrich Fischer-Dieskau adoptait une approche musicale fondée sur une technique vocale rigoureuse et une interprétation profondément réfléchie. Il croyait fermement que le bel canto, indispensable à l’opéra, était tout aussi crucial dans le lied. Convaincu que les différences techniques entre les deux genres étaient négligeables, il pensait qu’une voix authentique et une interprétation intelligente étaient essentielles pour l’un comme pour l’autre.

Cette méthode insufflait à ses performances un accent particulier sur le sens et l’expression des textes. Chaque mot devait être interprété avec soin, et le chant, au-delà de la simple exécution vocale, devait devenir une œuvre d’art, riche en nuances émotionnelles. Fischer-Dieskau mettait aussi en avant l’importance de laisser l’interprétation s’exprimer de manière naturelle et authentique, sans surenchérir avec des gestes exagérés.

Son approche méticuleuse, tant sur le plan technique qu’artistique, a profondément influencé et touché de nombreux artistes lyriques contemporains. Grâce à sa vision, il a non seulement contribué à élargir le répertoire vocal, mais aussi à renouveler les normes de l’interprétation.

Après avoir quitté les scènes d’opéra en 1983, il s’est consacré à la direction d’orchestre, à l’enseignement, à l’écriture et à la peinture. Il a continué de donner des récitals, influençant ainsi des générations d’artistes. Bien qu’il nous ait quittés en 2012, son héritage demeure vaste et universel.

Richard Wagner

Dans l’interprétation des opéras de Richard Wagner, Dietrich Fischer-Dieskau combinait un sens raffiné du texte à une maîtrise vocale exemplaire, ce qui lui a permis d’exceller. Son approche intellectuelle, parfois taxée de rigueur excessive, a donné lieu à des interprétations mémorables, marquées par un timbre clair et des nuances profondes. Mais c’est par ses enregistrements que le baryton allemand a laissé une empreinte durable dans le monde wagnérien. Voici quelques-uns de ses moments forts :

  1. Tannhäuser
    Fischer-Dieskau apporte une sensibilité unique à Wolfram, mettant en évidence les conflits intérieurs du personnage. Il a enregistré une intégrale de Tannhäuser sous la direction d’Otto Gerdes avec le Chœur et l’Orchestre de la Deutsche Oper Berlin. Ce disque, publié en 1969, met en vedette des artistes légendaires du monde lyrique, comme Birgit Nilsson dans le rôle de Vénus, Wolfgang Windgassen interprétant Tannhäuser, ainsi que Theo Adam incarnant Landgraf Hermann. Nous avons aussi une version très appréciée de 1955, enregistrée à Bayreuth, sous la direction de Joseph Keilberth.
  2. Le Vaisseau Fantôme (Der Fliegende Holländer)
    Sous la direction de Franz Konwitschny, Dietrich Fischer-Dieskau a enregistré le Hollandais dans Le Vaisseau fantôme (Der fliegende Holländer) avec Gottlob Frick (Daland) et Marianne Schech (Senta), accompagné par la Staatskapelle Berlin et le Chœur de l’Opéra d’État de Berlin. Dans un rôle qui exige une grande intensité dramatique et une profondeur émotionnelle, le chanteur a su apporter une dimension psychologique unique, mettant en évidence les conflits intérieurs du personnage. Le rôle du Hollandais est complexe, oscillant entre la colère, le désespoir et la recherche de rédemption. Fischer-Dieskau a su capturer ces nuances, en particulier dans le monologue « Die Frist ist um », où le personnage exprime sa souffrance et son désir de libération.
  3. Lohengrin
    Dietrich Fischer-Dieskau a également marqué le rôle de Friedrich von Telramund dans Lohengrin de Wagner. Ce personnage complexe et sombre lui a permis d’explorer des nuances dramatiques et vocales, capturant à la fois la tragédie et l’ambition du personnage. Deux enregistrements en studio existent, le premier datant de 1963, sous la direction de Rudolf Kempe. Il rassemble Jess Thomas (Lohengrin), Elisabeth Grümmer (Elsa) et Christa Ludwig (Ortrud), entouré des Wiener Philharmoniker et du Chœur de l’Opéra d’État de Vienne. Vingt ans plus tard, le baryton change de rôle pour Georg Solti, où il incarne le Héraut, aux côtés de Plácido Domingo (Lohengrin) et Jessye Norman (Elsa), avec les Wiener Philharmoniker.
  4. Tristan et Isolde
    Dietrich Fischer-Dieskau a participé à deux enregistrements historiques de Tristan und Isolde de Wagner. Sous la direction de Wilhelm Furtwängler, il a enregistré l’opéra avec Kirsten Flagstad (Isolde) et Ludwig Suthaus (Tristan), accompagné de l’Orchestre Philharmonia et du Chœur de l’Opéra royal de Covent Garden en 1952, où il a pu montrer sa capacité à transmettre la loyauté et l’intensité dramatique de son personnage. L’autre enregistrement dirigé par Carlos Kleiber en 1982 avec René Kollo et Margaret Price est également très apprécié son interprétation de Kurwenal,  le fidèle compagnon de Tristan, capturant à la fois la force et la vulnérabilité du personnage.
  5. Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg
    Le personnage de Hans Sachs nécessite une profondeur émotionnelle et une maîtrise vocale remarquables, des compétences que Fischer-Dieskau possédait en abondance. Le baryton apporte une profondeur psychologique unique au personnage du cordonnier, mettant en lumière les dilemmes et les réflexions philosophiques du personnage. Dans une version enregistrée par Eugen Jochum à la tête de l’Orchestre et des Choeurs de l’Opéra Allemand de Berlin, Fischer-Dieskau incarne Hans Sachs aux côtés de Placido Domingo (Walther) et Catarina Ligendza (Eva).
  6. Das Rheingold
    Dietrich Fischer-Dieskau a incarné le personnage de Wotan dans les opéras Das Rheingold et Die Walküre de Wagner, principalement dans des enregistrements en studio. Son approche de ce rôle complexe reflète, dans l’enregistrement de Karajan de L’Or du Rhin a été louée pour sa finesse et sa réflexion, même si certains critiques ont trouvé sa voix trop légère pour les passages les plus dramatiques. Quant à La Walkyrie, Fischer-Dieskau n’a enregistré que la dernière scène, Wotan’s Abschied (Les Adieux de Wotan), où le personnage principal exprime son amour et sa tristesse en bannissant sa fille Brünnhilde. Cette scène, caractérisée par une intensité émotionnelle remarquable, est interprétée avec une maîtrise impressionnante. Fischer-Dieskau abordait le rôle de Wotan de manière introspective, mettant en évidence les dilemmes moraux et les conflits internes du personnage. Sa diction parfaite et sa compréhension profonde du texte en faisaient un interprète remarquable, bien que certains aient préféré des barytons plus puissants pour ce rôle.
  7. Parsifal
    Dietrich Fischer-Dieskau a gravé le personnage d’Amfortas dans Parsifal sous la baguette de Sir Georg Solti. Dans cette performance enregistrée avec le Wiener Philharmoniker et un casting prestigieux composé de René Kollo (Parsifal), Christa Ludwig (Kundry), Hans Hotter (Titurel) et Gottlob Frick (Gurnemanz), Fischer-Dieskau a donné une interprétation saisissante d’Amfortas. Il a su mettre en évidence la détresse physique et spirituelle du personnage, en capturant avec brio sa souffrance intérieure. Grâce à son élocution parfaite et à sa compréhension profonde du texte, Fischer-Dieskau était l’interprète idéal pour ce rôle. Sous la direction de Hans Knappertsbusch, il a incarné également Amfortas dans une représentation mémorable de Bayreuth en 1955, aux côtés de Ramón Vinay (Parsifal) et Martha Mödl (Kundry).

 

Benoit van Langenhove