© Wikimedia - Alex Ross, critique musical

Dans son dernier livre, le critique du New-Yorker Alex Ross, auteur du best-seller international The Rest Is Noise, révèle comment Richard Wagner est devenu le terrain d’essai pour l’art et la politique modernes — une zone de guerre esthétique où le monde occidental a lutté entre la violence et la beauté.

Pour le meilleur ou pour le pire, Wagner est la figure la plus influente de l’histoire de la musique. Vers 1900, le phénomène décrit sous le nom de wagnérisme a envahi la culture européenne et américaine. Les opéras aussi écrasants que L’Anneau du Nibelung, Tristan und Isolde et Parsifal étaient admirés à la fois comme des réservoirs de mythes, de modèles d’audace formelle, et comme lieu de spéculation mystique et de liberté érotique. Des artistes majeurs, dont Paul Cézanne, Luis Buñuel, Virginia Woolf, Thomas Mann ou Isadora Duncan ont ressenti son influence. Les anarchistes, les amateurs d’occultisme, les féministes et les pionniers des droits des homosexuels le considéraient comme proche d’eux. Puis Adolf Hitler a incorporé Wagner dans la bande-son de l’Allemagne nazie, et le compositeur a fini par être défini par son antisémitisme féroce. Pour beaucoup, son nom est synonyme de l’incarnation du mal artistique.

Dans Wagnerism, Alex Ross restitue la magnifique confusion de ce que signifiait être wagnérien. Toutes sortes de génies, de fous, de charlatans et de prophètes se battent pour reprendre l’héritage multiforme de Wagner. Comme dans ses brillants articles pour The New Yorker, Ross voyage à travers les disciplines artistiques, de l’architecture de Louis Sullivan aux romans de Philip K. Dick, des écrits sionistes de Theodor Herzl aux essais sur les droits civiques, de Pionniers de Willa Cather à Apocalypse Now de Francis Ford Coppola.

À bien des égards, Wagnerism raconte une histoire tragique, celle d’un artiste qui aurait pu rivaliser avec l’universalisme d’un Shakespeare, mais qui se brûle avec son idéologie de haine. Pourtant, son ombre persiste sur la culture du XXIe siècle, ses mythiques parcourant les films de superhéros et de fantastique. Ni apologie ni condamnation, Wagneriesm est un travail de découverte passionnée, qui nous conduit vers une idée plus honnête de la manière dont l’art agit dans le monde.

 

Alex Ross. Wagnerism. Art and Politics in the Shadow of Music. New-York, Farrar, Straus and Giroux, 2020, 784 p.